L'app du bien manger et du gaiement boire !

Fine Gueule

Sarah Michielsen

Son crédo, faire des hybrides entre l’excellence et la simplicité. Sarah Michielsen touche les gens pointus et ceux qui s’y connaissent moins, depuis presque vingt ans, à travers ses différents restaurants. Après avoir fait une école hôtelière et vécu à Londres, elle ouvre son premier restaurant à vingt-trois ans, de retour à Paris, avec son compagnon de l’époque qui est chef ; le bistrot Le Temps au Temps rue Paul Bert dans le 11ème arrondissement de Paris qui fait un carton plein et qu’ils vendent à leurs salariés avant d’ouvrir Itinéraires, dans le 5ème arrondissement de Paris, car le chef veut une étoile. Pendant dix ans, Sarah Michielsen dirige un gastro étoilé Michelin, un bar à vin nature (le 58 en haut de la montagne Sainte Geneviève) et une Trattoria. Cela devient trop. Puis elle souhaite sortir du carcan de l’étoile. Elle arrête tout d’un coup, afin d’ouvrir seule le restaurant Parcelles, maturé longuement, et qui lui ressemble.

Bonjour Sarah ! Raconte nous un peu l’aventure Parcelles ?

« Parcelles », c’est l’idée du terroir, du territoire, de ce qui va naître d’un sol. Tous les produits sont en direct producteur et vignerons, et faits en intelligence du sol. L’idée était de faire très bien, en faisant très simple. Après l’étoilé qui m’a appris à travailler dans l’excellence, j’ai voulu non pas sortir de l’excellence mais de cette pression qui ne me convenait plus et que je trouvais inutile, par rapport à des récompenses, qui sont plus ou moins justifiées à mon avis. J’étais à deux cent pour cent et j’ai tout arrêté d’un coup, c’était assez perturbant. Je suis repartie de zéro mais j’ai eu le soutien de beaucoup de chefs et de vignerons. J’avais envie de revenir à quelque chose de plus simple, au bistrot, car c’était mes premières amours. Dans le bistrot on mélange les gens et les portefeuilles. Même si Parcelles n’est pas un bistrot pas cher, on met les vrais prix en face. On a une démarche produit, provenance, et qualité de travail. Car je souhaite payer les gens à la valeur du travail, ce qui a été dénigré pendant des années. J’ai voulu un projet qui permettrait également de fonctionner sans obligation personnelle, où tout le monde devient entre guillemet remplaçable, car la pression est normale. J’ai réfléchi à comment organiser des plannings où les gens puissent être absents et que le restaurant fonctionne. J’ai travaillé deux mois dessus. Puis j’ai cherché à m’entourer de gens sereins. Bastien, qui avait travaillé en sommellerie dans mon étoilé m’a rejoint et a donné un vrai essor au projet. Je voulais une cuisine un peu canaille, lisible, efficace, pour ce bistrot 1936. Avec Bastien, on a eu un coup de coeur avec notre chef Julien Chevallier, qui est hyper droit. C’est un peu le rêve Parcelles parce que comme on est tous professionnels, qu’on fait bien notre métier, ça roule.

Vous avez ouvert en plein covid ?

Quand j’ai fait mon offre de rachat : le premier confinement est tombé. Pas de salaire, des gros loyers, pas de masques, l’idée qu’on allait tous mourir. J’ai tenu psychologiquement jusqu’au second confinement. Puis j’ai ouvert la boutique pour survivre, on a fait les travaux nous même en deux semaines, pour ouvrir au plus rapide, et on a tenu la boutique sept jours sur sept pendant sept mois. Mon équipe a attendu qu’on ouvre, ils sont restés solidaires, c’était incroyable. Ensuite dès qu’on a eu la terrasse, les gens sont venus, même sous la pluie. Et dès l’ouverture le restaurant a fonctionné au bouche à oreille.

Tu t’es intéressée au vin nature il y a presque vingt ans, comment tu l’as découvert ?

Grâce au Paul Bert, en face de mon premier restaurant, qui à l’époque faisait Gramenon et Dard et Ribo. Je sortais de l’école hôtelière classique et eux goûtaient les vins et les trouvaient super. Moi je trouvais ça particulier ; ça pétillait, je me demandais si c’était aboutit…Je n’avais jamais goûté du fruit comme ça, c’était bizarre, je ne comprenais pas et j’avais envie de comprendre. Je me suis mise à fond dedans et arrivée à Itinéraires j’avais une des plus jolies cartes des vins de Paris parce que j’allais chercher, comprendre, trouver des choses justes. Je faisais du nature propre. Le problème d’aujourd’hui est qu’il y a des natures que les jeunes pensent comprendre alors que ce n’est pas prêt ou déviant. Le nature, il faut avoir beaucoup d’expertise. Si on veut un vrai plaisir il faut comprendre que quand on le reçoit il faut qu’il repose, qu’il faut avoir des températures de service et de conditionnement hyper pointues. Le nature parait simple mais en réalité il faut avoir quelqu’un qui comprenne le vivant et qui comprenne le vin. Si tu connais les vins classiques, c’est comme connaître ses gammes, cela te permet d’aller loin dans le contemporain déstructuré. Parfois je goûte un vin et je le remets à vieillir. Quand on reçoit un vin, on le fait re-reposer pour qu’il s’adapte à la température de cave, on ne l’ouvre pas direct, on ne le met pas tout de suite à la carte. Il faut du stock, de la place, du temps. Bien servir, c’est un vrai travail. Aujourd’hui on met la cuisine en avant et pas la salle et la sommellerie alors que ce sont des métiers assez précis. C’est simple de servir une assiette, mais si on veut bien le faire, il y a beaucoup de détails que l’on peut ajouter.

Quel est ton rapport aux produits ?

J’ai eu la chance d’avoir une maman écologiste dans les années 80, parmi les bobos du début. Donc pour moi ça a été évident dans toute ma vie. On a fait en conscience dès nos premiers restaurants. On est tous pollueurs, et il n’y a pas plus pollueur qu’un restaurant, donc je réfléchis à comment impacter le moins possible, faire attention, à côté, centraliser les commandes. Tout cela n’était pas à la mode mais je l’ai toujours fait.

D’où t’es venu le goût de la cuisine ?

Ma mère cuisinait très bien, dans cette idée du bio, du locavore, de la saisonnalité. J’aimais quand elle recevait. Bien que ce soit quelqu’un de très simple, elle se faisait belle et recevait dans les règles de l’art de la maison bourgeoise. J’avais sept, huit ans, j’épiais la soirée du haut des escaliers : elle mettait un disque de jazz, il y avait des chandeliers, des petites bougies, mes parents étaient heureux, j’aimais cette ambiance. Dans la cuisine, il y avait tout ce qu’ils avaient mangé, pas fini, des restes, il y avait une ambiance que j’adorais. A huit ans, j’ai commencé à faire tous les petits déjeuners, le dimanche.

Qu’as tu appris de toutes ces expériences ?

Je me suis rendue compte que dans mon métier, sans équipe on n'était rien. On a beau avoir du talent, sans équipe on ne peut pas avoir un lieu où on échange, partage, évolue. J’ai aussi appris que le circuit de la bienveillance est dix fois plus fort et plus rapide que le circuit toxique. Et qu’il faut sortir aussi du circuit de la douleur. On croyait à l’école que plus tu en chies plus tu y arrives. Et bien non, il y a un autre circuit, dans lequel on travaille, mais on ne souffre pas. La bienveillance, la tolérance, c’est possible. La vitesse des réseaux sociaux m’a aussi épatée. Il y a un engouement international autour de Parcelles qui vient plus des autres réseaux que les guides, en fait. On peut sortir du diktat des guides.

Est ce qu’il y a quelque chose à améliorer dans ton domaine selon toi ?

Ce que j’aimerais, c’est que les gens viennent au restaurant dans une démarche de conscience. Si on n'a pas faim, il ne faut pas aller au restaurant. Je faisais une corrélation entre les pays qui ont vécu la guerre et ceux qui ne l’ont pas vécu dans ces cent dernières années. C’est intéressant comment les gens qui viennent des Etats Unis, qui ne savent pas ce que c’est de crever de faim, peuvent laisser dans leur assiette, alors que toute l’Europe la finit. Il faut avoir en tête la démarche : nous on a une nappe qu’il va falloir laver, une lumière que l’on a allumée, des animaux qui ont été sacrifiés, donc si on arrive et que l’on n'a pas faim, quel intérêt de venir ? Il manque une conscience collective. La démarche d’aller dans un restaurant n’est pas anodine, il y a un impact, le client engage des choses. Mais cela bouge et je trouve que les jeunes sont formidables.

C’est comment d’être une femme dans ce milieu?

C’est plus difficile, plus compliqué mais c’est possible. Il faut prendre sa place plus difficilement qu’un homme car on nous challenge. Tous les courriers que je reçois sont « cher monsieur », « monsieur le directeur », « cher Sarah », comme quoi un patron n’est jamais féminin. Mais les femmes sont parfois pleines de préjugées aussi ! Ce ne sont pas toujours les hommes qui nous mettent des bâtons dans les roues. On reproduit malgré nous un schéma pitoyable mais ancré presque dans nos ADN de soumission normalisée, donc je combats ça aussi, ce conditionnement. Il faut travailler là-dessus. Mais celles qui se sont occupées de mon projet de me donner mon prêt, ce sont des femmes…

Tu dirais quoi à quelqu’un qui veut ouvrir son restaurant ?

Je dirais Vas-y ! J’ai entrepris toute ma vie. Mais il faut avoir conscience qu’on n'aura plus jamais la même vie qu’avant. Même en voulant se préserver il faut savoir qu’il faut être un peu là tous les jours. On est toujours en train d’y penser, c’est comme un enfant. Entreprendre c’est être responsable. Payer les conséquences de ses choix.

Et le faire avec des enfants ?

Ça se fait. Si on a de la famille et des nounous, c’est mieux. Il y a une dizaine d’années difficiles. C’est un peu le marathon, mais ça se fait. On m’a dit de ne pas faire d’enfant dans ce métier, de ne pas entreprendre, mais en fait tout est possible. Il ne faut rien lâcher. Il faut être organisé au millimètre. Et sortir de la culpabilité, ce qui est très dur, surtout pour une femme. Il faut avoir du temps de qualité avec eux quand on est disponibles. Mes enfants voient que le travail paye, et que je ne me suis pas battue pour rien.

Il y-a t-il un.e producteur.ice dont tu voudrais parler ?

La ferme Au rythme des saisons d’Agen, ils sont bios, ce sont des musiciens aussi, ils ont une belle démarche et ils travaillent avec Biovor. Sinon il y a Valérie Daubenton, la Fleuriste permacole que j’adore, avec qui on est plusieurs à travailler. C’est une femme géniale qui fait un travail de dingue. Elle ramasse les fleurs, fait des bouquets à manger, des aromatiques. C’est une mine d’or de savoir sur les herbes et les plantes. Elle m’a fait goûter des pétales de topinambours, un délice.

Un commerce de quartier à partager ?

Miyam, mes voisins. C’est vraiment bien ce qu’ils font. Ou la caviste d’ Au Bon Vingt, Agnès, dans le XXème.

Un restaurant que tu voudrais citer ?

Antonin Bonnet, de Quinsou, un étoilé Michelin un peu différent. Un des premiers à avoir une vision plus londonienne que parisienne, une démarche produit très rigoureuse. C’est quelqu’un que je respecte beaucoup. Il est sans concession.

Un.e collègue ?

Manon Fleury, qui a fondé Datil. Vraiment dans l’idée de quelqu’un qui s’engage pour de nombreuses causes, les femmes, les produits. Sa démarche est intelligente, gourmande, mais très insolite dans le végétal. Elle a pris de l’ampleur et une démarche plus personnelle dans son menu. Son livre « Céréales » est génial, aussi. C’est quelqu’un qui porte des valeurs.

Il y a t-il une actualité que tu voudrais partager ? "

Il est temps de vivre la vie que tu t'es imaginée"; de Henry James ! Ça c'est actuel pour moi ! '(elle rit)

Découvrir la recette de Sarah Michielsen.

Merci Sarah !

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