L'app du bien manger et du gaiement boire !

Fine Gueule

Didier Grosjean

En cette période froide mais que l’on peut facilement rendre fondante, on rencontre Didier Grosjean, fondateur avec sa compagne galeriste Chloé Salgado de la fromagerie Source, rue du Chemin vert, pour parler de fromages, vins et commerces de quartier.

Salut Didier. Peux-tu nous résumer ton parcours ? Comment en es-tu venu à monter une fromagerie ?

Pendant mon BEP Compta, pour financer mes études, j’ai eu l’idée d’aller voir le fromager que je connaissais depuis tout petit, au Marché Saint-Martin dans le 10ème. Au début, je ne connaissais rien au fromage, donc j’ai commencé par nettoyer la chambre froide. Puis, j’ai passé de plus en plus de temps en boutique, à écouter comment on parlait des fromages, à regarder comment on les emballait. Petit à petit, le patron m’a laissé servir quelques clients et m’a proposé de venir travailler le samedi et le dimanche. J’y ai fait mon Bac Pro commerce en alternance et suis resté cinq ans là-bas. Je suis ensuite allé travailler dans une autre fromagerie dans le 18ème, avant d’entendre parler d’une boutique à vendre sur l’île Saint-Louis. Je me suis associé alors avec un copain et on a repris, de 2011 à 2018, cette fromagerie. Au bout de sept ans, on a eu envie de partir chacun vivre d’autres aventures. J’ai repris un restaurant en gérance, toujours sur l’île Saint-Louis. Les sept premiers mois ont été assez cools, puis est intervenu le Covid et ça a été encore plus sympa, car j’ai passé plein de temps à la campagne et ai découvert une vie qui n’était pas dominée par le travail. Quand on a pu rouvrir, je suis revenu sur Paris, mais je n’avais plus envie de cette vie-là. J’ai rencontré ma compagne, arrêté le bistrot et me suis dit qu’il fallait que je retourne dans le fromage. Je suis allé travailler chez Barthélémy dans le 7ème tout en cherchant un local pour monter une boutique. On a trouvé celui-là et on a ouvert en février 2024.

Qu’est-ce que tu préfères dans ton métier ?

La première chose, c’est que je suis capable de tout faire en boutique. À l’inverse de la restauration, où si tu as un problème avec la cuisine et que tu ne sais pas cuisiner, t’es bloqué, là si demain mon salarié est malade, je peux quand même ouvrir et servir. La deuxième chose, c’est de trouver des produits, faire des rencontres, comprendre le travail qu’il y a derrière les produits.

Comment organises-tu l’approvisionnement de ta boutique ?

Pour certains produits, c’est du direct, et pour d’autres, on transite par Rungis. Typiquement, le Saint-Marcellin, vu notre petit volume, on est obligé de passer par Rungis, sinon le transport réfrigéré coûterait aussi cher que les fromages. On travaille donc en précommande avec des fournisseurs qui déposent les produits à Rungis, que l’on passe récupérer ensuite. Pour les tommes, comme ça se garde très bien, on n’a pas ce problème et on peut en recevoir mensuellement sans craindre que les livraisons se chevauchent. On peut passer en direct, même si on mutualise aussi la livraison avec d’autres commerces.

Comment découvres-tu tes produits ?

Soit lors de dégustations chez des grossistes, soit chez des petits producteur.ice.s lors de déplacements, soit dans d’autres boutiques qui nous font découvrir des produits et avec lesquelles on s’associe ensuite sur les commandes. Comme on est fiers des produits et des valeurs qu’ils et elles incarnent, on est très heureux de pouvoir les partager et de les retrouver dans d’autres lieux.

On voit souvent quelques quilles dans les fromageries, mais là vous avez de nombreuses étagères. C’était important de proposer du vin ?

Dès le début, on avait envie d’une offre assez conséquente et bien sourcée. Bien avant d’ouvrir la boutique, on bossait sur les vignerons et vigneronnes avec lesquels on voulait travailler. On a rencontré 90 % de celles et ceux qui sont présent.e.s sur nos étagères. On n’a pas le volume d’une cave, mais on est une sorte d’hybride entre les deux.

Quid du vin rouge et du fromage ?

Les esprits ont un peu changé sur ce combo. On propose un accord de vin rouge avec un fromage, mais quand il n’y en a qu’un seul. Quand il y a une sélection éclectique de fromages, c’est impossible de trouver un rouge qui va s’accorder avec tous.

Peux-tu nous parler de la saisonnalité des fromages ? Tes client.e.s y sont-il.e.s sensibles ?

On en parle et les gens sont globalement au courant. Là, par exemple, ce n’est plus la saison des chèvres, mais on garde tout de même deux ou trois fromages. On donne la leçon, mais on n’oblige en rien.

Est-ce que tu trouves que les goûts changent ?

Il y a un pourcentage de clients et clientes qui vont rester sur les mêmes fromages, mais globalement, les gens qui viennent chez nous vont plutôt nous demander ce que l’on peut leur conseiller. Les gens sont plutôt ouverts au changement, tout dépend comment tu l’amènes.

Vendre du fromage semble s’apparenter de plus en plus à vendre un produit luxueux alors qu’il reste une denrée nécessaire dans l’imaginaire culinaire français. Comment te places-tu vis-à-vis de ça ?

En quinze années dans l’alimentaire, j’ai toujours entendu dire les clients et clientes : "le fromage, c’est cher", et cela même à des périodes où ça avait baissé. Dans l’inconscient des gens, l’alimentaire, c’est toujours trop cher. Mais faut comparer ce qui est comparable, ne serait-ce que regarder les différentes méthodes de production. Les gens pour qui la bonne santé passe par l’alimentation peuvent te dire : "c’est cher, mais je comprends". Tout dépend où se situent leurs priorités. Par exemple, nous, on travaille en direct et il ne nous viendrait pas à l’idée de négocier les prix avec les producteurs et productrices. Malheureusement, il y a trop de publicités "Le bien manger à un meilleur prix" ou "On est les moins chers sur les légumes" qui, au fond, ne veulent rien dire. "Moins cher" par rapport à quoi, à qui ? On tire l’alimentaire vers le bas. Il est important d’expliquer que bien manger, ça coûte cher, et d’inviter à réfléchir à ce que peut être le juste prix.

Comment avez-vous choisi votre emplacement ?

On visait le 9ème, 10ème ou 11ème. On cherchait un endroit que je puisse atteindre à moins d’une demi-heure de vélo. Ici, c’est allé assez vite, en trois semaines. C’était important pour nous d’être dans ce tronçon de rue. Il y a la Récolte à côté, Les Éleveurs de la Charentonne en face, une boulangerie juste à l’angle.

Est-ce que vous songez à avoir un stand ou une boutique sur un marché ?

Non, les marchés découverts, c’est beaucoup trop dur au niveau des horaires, surtout quand tu as connu le confort d’une boutique fermée. Par contre, il y a un charme autour des marchés couverts, ça draine un monde de dingue, et puis c’est cool, c’est convivial. Mais il y a très peu de places disponibles, et puis ce n’est pas la même chose, tu ne peux pas faire ce que tu veux avec ton stand, il n’y a pas les mêmes baux.

Hormis la vente directe, tu bosses avec quelques restaurants, boutiques ?

Oui, quelques restaurants dans le quartier, deux traiteurs, un caviste qui fait des soirées dégustation, un coffee shop. Pour le moment, on repousse à plus tard le développement de la restauration.

Quels sont vos prochains projets ?

On réfléchit à l’ouverture dans le quartier d’une cave à manger pour 2025. Quelque chose d’assez simple, avec les vins et fromages de la boutique, un peu de charcuterie.

Tu dirais quoi à quelqu’un qui veut se lancer ?

D’aimer les bons produits, d’aimer ce qu’il fait. Rungis, c’est deux fois par semaine, ça me fait plaisir d’y aller, de rencontrer les gens, qu’il y ait un vrai lien social. Le jour où j’arrêterai d’y aller, c’est que soit on a 50 boutiques, soit il faut que je me pose des questions.

Comment bien choisir un fromage ?

On le choisit fermier et au lait cru, et également de saison quand cela s’applique. On peut aussi demander conseil à son fromager qui saura sans aucun doute vous orienter.


Qu'est-ce qu'un fromage durable ?

Un fromage qui a été produit dans le respect de l’animal, de l’humain, des saisons et de l’environnement, et issu d’une production fermière (c’est à dire que le fromage est fabriqué exclusivement à partir du lait produit par les animaux élevés par le producteur), et d’une exploitation à échelle humaine.

Qu'est-ce qui différencie une néo-fromagerie d'une traditionnelle ?

Le sourcing ! Les néo-fromageries dont nous sommes fiers de faire partie portent une véritable attention à la provenance de chacun de ses fromages, afin de privilégier à chaque fois que possible les petits producteurs fermiers indépendants. Et les horaires aussi peut être. Je pense que nous sommes plus sensibles aux nouvelles habitudes des clients et de ce fait nous ouvrons sans interruption dès 9h et jusqu’à 20h30, et également les dimanches après-midis.

Dernièrement, un souvenir gustatif marquant ?

La tomme fermière des Vosges au cumin des prés de la GAEC du Vacceux.

Une odeur ?

Celle du café le matin.

Un son ?

Le bruit de la télécollecte de la carte bleue, parce que ça signifie que c’est la fin de la journée.

Une image ?

La campagne, un pré vert.

Un toucher ?

Les cheveux de ma fille qui a un mois.

Un producteur ?

GAEC de Kitteria : 120 brebis, 2 tonnes de fromage par an et c’est bon !

Un restaurant ?

Le Petit Chardon, rue du Château d’eau. Parce que c’est ouvert le dimanche soir, moment où l’on trouve le temps d’aller manger dehors.

Un commerce de quartier ?

Les Résistants, l’épicerie, c’est vraiment bon et ils sont supers cools.

Un lieu qui t’inspire ?

Le bord de mer.

Un fromage pour ce cœur de l’hiver ?

La tomme au serpolet, de la GAEC du Vacceux, encore ;)

Merci Didier !

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