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Après une carrière dans l’univers du luxe et de la gastronomie, Sandra Mielhenhausen et son partenaire Nicolas Rozier-Chabert ont lancé PLAQ, une Manufacture de chocolat haut de gamme fabriqué de manière artisanale, directement de la fève (de cacao) à la Plaq (de chocolat). Sandra nous a parlé de la fabrication du chocolat et de sa vision de la durabilité dans l’alimentation.
Bonjour Sandra, tout d’abord, d’où vient ta passion pour la cuisine et le produit ?
Je suis lyonnaise, et chez moi, la cuisine familiale a toujours occupé une place centrale. Les plats du dimanche comme l’escalope de veau à la crème à l’estragon, le lapin à la moutarde, ou encore le poulet rôti étaient des incontournables. Cependant, lorsque les supermarchés ont commencé à se développer, ma mère a trouvé ça génial que la nourriture prenne moins de place dans le budget familial, bien qu’elle ait toujours privilégié des produits simples et non transformés. Ma passion pour la cuisine est ensuite née de mes premiers jobs étudiants de serveuse, d’abord au Relais de l'Entrecôte, où l’attention portée à la qualité du produit m’a marquée : les frites étaient faites maison, la viande était de qualité et bien sourcée. Un plat simple, mais très bien exécuté. Ensuite, j’ai travaillé dans la brasserie sud de Paul Bocuse, un des premiers chefs à avoir popularisé la bistronomie. J’y ai travaillé tout au long de mes études. Puis, lors de mes premiers stages chez LVMH, Hennessy et Dom Pérignon, j’ai découvert une vraie passion pour le produit et la culture de la terre. C’est du luxe industriel, certes, mais de grande qualité, avec des gens passionnés et un véritable rapport à la gastronomie. C’est là que j’ai découvert le monde des chefs étoilés.
Pourquoi avoir choisi le chocolat ?
Le chocolat, c’est une passion de longue date. J’ai grandi avec. Mon père, qui était diabétique, mangeait un carré de chocolat noir après chaque repas. Et puis, avec Nicolas, on partage deux passions communes : le chocolat et la natation. J’ai toujours eu du chocolat sur moi, même au travail ou en voyage. À force de consommer du chocolat, je suis passée de l’industriel à des chocolats de qualité en découvrant des chocolatiers parisiens comme Jean-Paul Hévin, Patrick Roger, puis Ducasse.
Comment avez vous franchi le pas de lancer votre projet ?
Quand je suis arrivée à Paris il y a vingt ans, j’ai vécu l’avènement de la bistronomie. À l’époque, je travaillais dans la beauté, chez Dior, où la culture de la qualité et du produit m’a marquée, mais je n'ai jamais cessé de vouloir revenir à ce qui me passionnait vraiment : les vins et spiritueux. En France, une fois que tu es catalogué dans un domaine, c’est difficile de changer de secteur sans recommencer à zéro. Nicolas, lui, travaillait dans la production de films, l’édition, sur des produits de luxe, et il a décidé d’arrêter fin 2017. C’est à ce moment-là qu’on a décidé de créer notre propre entreprise, et le chocolat s’est imposé à nous.
Quelle était l’idée initiale ?
Au départ, on voulait simplement vendre du chocolat, éduquer les gens à bien choisir, à comprendre la qualité du produit. Mais en explorant le chocolat, on a réalisé que 95% des chocolatiers ne fabriquaient même pas leur propre chocolat. On a pris conscience de cela en découvrant le mouvement Bean to Bar aux États-Unis, puis notamment avec Jacques Genin, qui se définissait comme « fondeur en chocolat ». Ce terme nous a fait comprendre qu’il existait un véritable métier autour de la fabrication du chocolat à partir de la fève, un savoir-faire presque secret, qu'on ne trouve plus que dans les familles historiques et qui est presque perdu aujourd’hui. En France, la plupart des chocolatiers travaillent avec des pistoles de chocolat industriel, comme les produits de couverture. Ce chocolat n’est pas là pour être dégusté tel quel, mais pour enrober des bonbons ou des pâtisseries. On a découvert un goût totalement différent avec les plaques Bean to Bar, et c’est ce que nous avons voulu faire.
Pourquoi avoir créé un lieu ?
On ne se reconnaissait plus dans la manière dont le chocolat était acheté et vendu, souvent dans un emballage de luxe un peu superflu. On adorait l’idée des coffee shops, où l’on trouve un produit simple et de qualité, sans tout l’artifice du luxe et du packaging épais. Nous avons eu l’envie de créer un lieu hybride où l’on fabriquerait le chocolat et où on le montrerait, pour casser le mystère qui entoure sa fabrication. Ce lieu devait permettre aux gens de déguster du chocolat sous différentes formes : chaud, en tablette, ou même en sorbet. Il y avait cette forte volonté de « faire » les choses de manière authentique. On avait l’idée que, pour offrir un produit de qualité, il fallait maîtriser l’ensemble de la chaîne, y compris la distribution. C’est pour cela qu’on a choisi de se lancer dans de nombreux métiers différents, y compris la gestion de notre e-shop et nos propres emballeurs. Même si cela implique plus de risques et de défis, nous avons une gestion totale de la qualité, de la production à la livraison.
Comment avez-vous mis cela en place ?
Nous étions déjà formés à l’esthétique, à la qualité organoleptique du produit, à la gestion commerciale et de marque, mais nous avons dû tout apprendre sur la fabrication du chocolat, la logistique, et la partie financière. Aujourd’hui, Nicolas gère le sourcing, qui est un travail colossal, car nous sourçons toutes nos matières premières presque directement. Il s’occupe aussi de la production, des machines, et de la partie financière. Pour ma part, je me charge principalement du marketing, de la communication, de la création des produits, et des opérations.
Qui vous a initié au métier ?
Le CAP chocolatier n’apprend pas à faire le chocolat, nous avons donc décidé de nous former au Bean to Bar. J’avais un livre intitulé Cuisine inspirée, l’audace française (Ingrid Astier), dans lequel des esthètes gourmands parlaient de leurs passions gastronomiques. C’est là que j’ai découvert Chloé Doutre-Roussel, une figure de la scène Bean to Bar, qui avait travaillé chez Ladurée et Pierre Hermé avant de se lancer dans le sourcing des fèves et de monter son propre atelier au Venezuela. Nous l’avons rencontrée, et elle nous a proposé de venir visiter les plantations de cacao au Venezuela pour apprendre directement sur le terrain.
Comment s’est passé le voyage ?
Nous avons passé deux semaines là-bas. L'ambiance était particulière : on avait un chauffeur armé à cause de la situation politique tendue, mais ce fut aussi une expérience magique. Nous avons visité la plantation de Chuao, une des plus réputées et préservées au monde, située à quatre heures de route de Caracas, accessible uniquement par bateau. Nous avons goûté des fèves incroyables. Contrairement à l’image paradisiaque qu’on peut en avoir, les plantations étaient très humides, pleines de moustiques, avec un climat chaud et moite. Mais c’était fascinant de découvrir le processus de fabrication du cacao dans son milieu naturel. En rentrant du Venezuela, nous avons décidé de nous lancer sérieusement dans la fabrication de chocolat, et de le faire de manière pure, en respectant les méthodes artisanales.
Comment ça se passe quand on travaille un produit tel que le cacao ?
Nous travaillons uniquement avec des fèves cultivées en agroforesterie. Pas de pesticides, pas de déforestation, les fèves sont cultivées dans leur milieu naturel, à l'ombre d'autres arbres comme les manguiers et bananiers, car le cacaoyer a besoin d'ombre pour pousser. L’agroforesterie représente à peine 4% du cacao mondial, mais c’est une méthode qui permet d’obtenir les fèves les plus rares et les meilleures.
Et pour faire venir le produit ?
Le défi, c’est que l’on ne peut pas travailler avec des petits champs isolés, car cela rend l’approvisionnement trop compliqué. Nous évitons de prendre des fèves qui arrivent par avion. Les fèves sont transportées par cargo, qui arrive dans des ports comme Amsterdam ou Hambourg. Nous avons testé des voiliers, mais c’est plus coûteux et cela augmente le prix des plaquettes de chocolat d’un euro. Nous allons bientôt réaliser un bilan carbone officiel, mais nous estimons que le transport représente seulement 5 à 10% de l'empreinte carbone. Le gros du bilan carbone provient plutôt de la transformation des fèves, de l’utilisation des machines, et du chauffage ou de la climatisation dans la boutique. Faire le processus sur place est déjà beaucoup moins énergivore. Dernièrement, on réalise qu’il vaut mieux privilégier un produit bien fait, même s’il vient de loin, plutôt qu’un produit local plein de pesticides. La pollution engendrée par les techniques de culture industrielle et les pesticides est bien plus polluante que le transport.
Comment décrirais tu le goût du chocolat ?
Un chocolat industriel a souvent un goût torréfié, parfois vanillé et sucré. Mais pour moi, le vrai goût du chocolat, c’est autre chose : il y a des notes fruitées, subtiles. Je suis convaincue qu’un produit de meilleure qualité satisfait davantage le palais, et qu’on en mange moins parce qu’on est mieux comblé par ses saveurs.
Un coup de gueule ?
Tu connais le mystère du beurre de cacao ? C’est un vrai problème. Aujourd'hui, on peut appeler un chocolat "92%" sans qu'il contienne réellement 92% de fèves de cacao. On peut avoir 82% de fèves et 10% de beurre de cacao, et l'appeler quand même "92%". Le pourcentage fait référence au sucre, pas aux fèves. Il faudrait savoir d’où vient le beurre de cacao, car il ne provient pas forcément du même endroit que les fèves de grande qualité. Souvent, il vient de fèves de qualité inférieure, parfois même de cultures déforestées. Nous, on utilise du beurre de cacao pour notre chocolat au lait, traçable et non désodorisé, mais cela a un goût riche, et c’est plus cher. C’est un produit moins prisé par l’agro-industrie. Il serait nécessaire de connaître la proportion de beurre de cacao dans chaque chocolat, et surtout d’où il vient. Même dans le mouvement Bean to Bar, certains continuent à ajouter du beurre de cacao dans le chocolat noir, alors que ce n’est pas nécessaire.
La prochaine étape ?
Nous venons d’ouvrir un nouveau lieu à Paris, 57 rue du Cherche Midi (75006 Paris) dans lequel nous faisons, vendons, et servons également le chocolat toute la journée.
Le mois dernier, un souvenir gustatif marquant ?
Un fromage que j'ai découvert récemment : la Bergère du Soir, un fromage de brebis à l'ail noir que j'achète à la fromagerie Terroirs d'Avenir. C'est l'alliance parfaite entre le lait de brebis crémeux et l'ail noir, doux sans être sucré.
Une odeur ?
L'odeur du café fraîchement moulu. Je me fais un café par jour en méthode V60. Je le mouds avec un petit moulin et quand je l'ouvre, c'est une odeur très intense que j'adore. C’est un café de spécialité, hyper bien torréfié bien sûr, qui dégage une odeur folle.
Un son ?
Le silence me plaît particulièrement. C'est devenu si rare.
Une image ?
J'adore les photographies de Sugimoto, qui a immortalisé de nombreux horizons marins. Nous avons une petite collection de ses œuvres. C'est apaisant, presque abstrait.
Un toucher ?
Le toucher d'un pull ultra doux dans lequel on a envie de se lover. Des chaussettes en laine bien chaudes, le plus agréable possible.
Un restaurant ?
La cuisine de Cuisine rue Condorcet, dans le 9e, tenue par Takao et Benoît en salle, propose une cuisine française avec des touches japonaises, c'est un délice. Pour le midi, j'adore Yory rue de Maubeuge, tenu par une femme coréenne en cuisine et son mari au service. Tout est ultra frais et savoureux.
Un coffee shop ?
J'ai deux cafés à recommander : Léandres rue de Maubeuge, un café tenu par un colombien et sa compagne française. Il fait venir directement des fèves de Colombie qu’il torréfie lui-même, grâce à Beans on Fire (un torréfacteur participatif). Ils font également de délicieuses petites choses à manger, notamment un pan de bono (pain au fromage de brebis et à la farine de tapioca) qui est incroyable. J'adore prendre mon petit déjeuner là-bas.
Il y a aussi Wani rue Saint-Placide, près de notre nouvelle boutique rue du Cherche-Midi, tenu par Sugio, le chef japonais qui avait le restaurant Botanique. Il cuisine avec une grande finesse les légumes et excelle également dans le choix de ses produits. Il fait aussi du café, du thé et des gâteaux, comme un cake à la courge délicieux, ainsi que des plats salés.
Un commerce de quartier ?
Ten Belles pour acheter son pain. Ils sont également rue du Cherche-Midi dans le 6e.
Terroirs d'Avenir rue du Nil, nos voisins historique, où tout est exceptionnel.
J'adore la Cave Pigalle pour le vin nature, rue Henri Monnier, c'est vraiment le cas de le dire : canon.
Comment bien choisir un chocolat ?
D'abord, il faut bien regarder la composition : plus il y a d'ingrédients en dehors de la fève et du sucre, moins il sera pur. Ensuite, la provenance et la traçabilité sont importantes, mais ne garantissent pas forcément le goût. Je dirais qu'il vaut mieux se tourner vers les marques les plus artisanales possibles. Privilégiez un chocolat qui a été fait récemment, car il ne se conserve pas très longtemps.
Un produit à se procurer chez Plaq en ce moment ?
Une nouvelle boîte de bonbons (des pralinés très purs enrobés de chocolat noir) : 4 pralinés sésame noir (mon crush du moment !) , 4 pralinés coco, 4 pralinés noix de pécan, et 4 pralinés cacahuètes. Sinon, le sorbet PLAQ en pot, disponible toute l'année, est un fabuleux dessert après un repas copieux et bien arrosé !
Merci Sandra !
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