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Salut Jack, est-ce que tu peux te présenter ?
Je travaille dans la production de film et j’ai co-fondé le Koinpost qui cherche à relier gestes quotidiens, écologie urbaine et alimentation durable.
Quand et comment est né ton intérêt pour le compost ?
Je m'intéresse aux questions écologiques depuis longtemps, à bien des égards. J’ai étudié l’anthropologie de l’environnement, et mes parents étaient déjà sensibles à ces enjeux. Le fait d’adopter une alimentation biologique et en circuit court a renforcé ma conscience écologique.
Pendant le confinement, je me suis lancé dans le lombricompostage : une boîte qui recrée un écosystème naturel, où des vers transforment les déchets alimentaires en compost. Ne sachant pas quoi faire de cette matière, je me suis rapproché des jardins partagés et j’ai découvert qu’ils avaient leurs propres bacs à compost.
C’est là qu’est née l’idée de créer une carte pour faciliter le lien entre les particuliers et ces lieux, souvent des fermes urbaines.
Peux-tu nous parler de ton projet Le Koinpost ?
En approfondissant mon intérêt pour le compost, j’ai eu l’idée de créer un système de récompense : puisque les fermes urbaines produisent des légumes, pourquoi ne pas permettre aux personnes qui déposent leurs biodéchets de repartir avec un panier de légumes ? Ça permet de rendre visible le lien entre ce qu’on rend à la terre et ce qu’elle nous redonne.
Le problème du compostage de proximité, c’est qu’il repose souvent uniquement sur la bonne volonté des gens, qui finit par s’essouffler. Un système de récompense peut encourager une pratique plus régulière.
En plus, cela donne accès à des produits bio, meilleurs pour la santé… et pour le compost.
On teste actuellement le modèle avec La Sauge, leur jardin partagé Terre Terre à Aubervilliers. Les utilisateurs y déposent leurs déchets deux à trois fois par semaine. Une fois par mois environ, tous les 50 litres de biodéchets apportés, ils peuvent récupérer un panier de légumes.
C’est quoi la prochaine étape pour Le Koinpost ?
Référencer un maximum de composteurs de quartier (y compris dans des jardins privés) et créer des partenariats avec des AMAP et des épiceries pour les paniers-recompenses, subventionnés en partie par les collectivités.
D’autres initiatives similaires ont-elles déjà vu le jour ?
Oui, ce n’est pas nouveau. Un livre qui m’a beaucoup marqué est L’invention des déchets de Sabine Barles, urbaniste. Elle explique comment la notion de "déchet" comme quelque chose à jeter et oublier est une invention moderne.
Au XVIIIe siècle, Paris était quasiment autosuffisante : 90 % des légumes venaient de la ville elle-même, grâce aux nombreuses fermes urbaines. Les déchets y étaient valorisés, transformés en compost. Ce qu’on vit aujourd’hui — la rupture du lien avec nos déchets et les circuits longs — c’est finalement ce qui est nouveau.
Et des initiatives plus récentes ?
Oui, notamment le réseau Compost Citoyen, qui installe des composteurs de quartier et accompagne les habitants dans leur mise en place et leur utilisation.
Qu’as-tu appris en compostant ?
Le compostage est, selon moi, le premier geste qui permet à un urbain de se reconnecter au vivant. Il change notre rapport au temps et à ce qu’on jette.
Traditionnellement, un déchet, c’est ce qu’on met à la poubelle sans plus y penser. Le compost, au contraire, oblige à prendre conscience du cycle : il faut du temps pour qu’un déchet se transforme en terre nourricière.
Personnellement, ça m’a incité à produire moins de déchets, à revoir mon alimentation. On prend conscience de l’impact de notre consommation, et ça devient un choix politique.
Le compostage, ce n’est pas seulement trier ses déchets : c’est une philosophie, une manière de cuisiner, de consommer.
Comment réussir son compost ?
Il faut bien découper les déchets pour faciliter le processus. Évitez les gros morceaux et ne mettez pas que des fruits et légumes. Il y a débat sur les agrumes, mais à condition qu’ils ne soient pas traités, je pense qu’ils ont tout à fait leur place.
C’est quoi un composteur ?
Un composteur est généralement constitué de trois bacs : le premier pour les biodéchets (fruits, légumes, marc de café, etc.). Le deuxième pour la matière brune (feuilles mortes, carton, papier non imprimé), à mélanger avec les déchets organiques pour équilibrer l’apport carbone/azote. Une fois le mélange équilibré, et le premier bac plein, on le transfère dans le troisième bac où il va maturer.
Bien mélangé et bien trié, cela donne en trois mois un excellent compost pour enrichir les sols.
Comment ça se passe dans les grandes villes ?
À Paris, on peut demander des composteurs collectifs par immeuble ou quartier. Dans les zones très denses, c’est plus difficile à mettre en place. Certaines personnes craignent les nuisibles, mais c’est souvent une fausse peur : bien géré, un composteur ne pose pas de problème. À Aubervilliers, par exemple, il y a beaucoup plus de jardins partagés et de composteurs. Une loi est entrée en vigueur en 2024 concernant les collectivités : elles ont désormais l’obligation de mettre en place des solutions pour permettre aux particuliers de valoriser leurs biodéchets. Il existe plusieurs options : certaines collectivités proposent des poubelles spécifiques pour les déchets alimentaires, qui sont ensuite collectées. Mais ce système montre vite ses limites : les habitants ne jouent pas toujours le jeu sérieusement, et cela implique de la logistique, du transport, donc une dépense d’énergie supplémentaire. L’autre option, beaucoup plus intéressante selon moi, consiste à installer des composteurs de quartier. Non seulement c’est une solution locale et immédiate, mais en plus, cela permet de sensibiliser les habitants, de les impliquer dans une démarche collective et concrète. Le compost produit peut ensuite être redistribué directement sur place, par exemple dans des jardins partagés ou des espaces verts du quartier.
Et il ne faut pas oublier que le compost est un amendement extrêmement précieux pour les sols : il améliore leur structure, leur fertilité, et favorise la vie microbienne. C’est un cercle vertueux.
Et le biogaz, dans tout ça ?
Le biogaz, issu de la méthanisation, est complémentaire au compost. Il permet de traiter des déchets en trop grande quantité ou non adaptés au compost classique, notamment les déchets non bio. Les deux sont utiles !
Un compost fait avec des produits non bio est-il moins bon ?
Oui, il met plus de temps à se faire, il est moins riche, et peut contenir des résidus de pesticides.
Si tout le monde se mettait à composter ses déchets, qu’est-ce que cela changerait concrètement ?
En France, environ un tiers de nos déchets sont organiques, c’est-à-dire compostables. Si chacun les compostait, on pourrait revaloriser une quantité énorme de matière qui, aujourd’hui encore, finit souvent incinérée ou enfouie. Cette matière organique a pourtant un rôle essentiel : elle enrichit les sols, améliore leur qualité, leur structure, et favorise la biodiversité souterraine. Composter à grande échelle permettrait aussi à l’agriculture biologique de devenir plus autonome, en réduisant sa dépendance aux engrais industriels. Et puis, il y a un enjeu climatique important : un sol vivant et riche en matière organique capte davantage de CO₂, ce qui contribue à la lutte contre les gaz à effet de serre. Reste bien sûr la question de la redistribution du compost produit — comment l’acheminer là où il est utile — mais ce type de logistique pourrait s’organiser assez naturellement. C’est une dynamique qui peut se mettre en place facilement, dès lors qu’elle est soutenue et encouragée.
Est-ce que tu peux nous parler des films que tu réalises ?
Oui, j’ai entamé une série documentaire. La première partie aborde la question des arbres en présentant des artistes qui cultivent un lien entre leur production artistique et l’arboriculture, comme Fabricer Hyber ou Thierry Boutonier. J’ai cherché à faire un parallèle entre leur démarche et la question de l’écosystème, à montrer comment leur façon de travailler s’inspire de la façon dont les arbres communiquent entre eux, du fonctionnement d’un système racinaire. Thierry Boutonier fait une oeuvre participative dans laquelle il demande à différentes personnes de s’occuper d’un arbre pendant trois ans, avant qu’ils ne soient plantés dans une gare. L’idée est de créer une visibilité sur des processus du vivant que l’on a pas forcément, à travers un vision plutôt contemplative. On a besoin d’une approche sensorielle plutôt que d’information, de reportage, selon moi, pour y être sensible. Dans les épisodes suivants, je veux explorer d’autres thématiques : la question des sols, des ressources et de l’alimentation dans l’un, puis celle de la mémoire des écosystèmes dans un autre. Pour ce dernier, je vais suivre un artiste qui vit à Manhattan, à New York. Il cherche à réintroduire des espèces natives d’avant le XVIIe siècle. Il travaille avec les microbes, refertilise l’écosystèmes, pour que ces espèces puissent y vivre. De la même façon dont on fait des événements mémoriaux pour l’histoire, et des événements humains, lui veut faire un évènement mémorial pour la nature, pour cet écosystème qui a existé à Manhattan mais que l’on a oublié. Le premier épisode de cette série, justement, Espèces pionnières est disponible sur la plateforme Labociné jusqu’à la fin du mois d’avril, dans le cadre de leur cycle consacré aux plantes et aux arbres.
Dernièrement, un souvenir gustatif marquant ?
Un repas à Zone sensible, la ferme urbaine, avec les légumes qu’ils avaient eux même fait pousser. C’était très bon, d’autant plus en sachant d’où venaient les légumes.
Une odeur ?
L’odeur du compost, une odeur de terre que l’on a tendance à oublier en milieu urbain où les sols ne respirent pas.
Un son ?
Pour mes films, je travaille avec un compositeur de musique concrète, Stefan Maier, qui récupère des sons des sols et compose des morceaux à partir de cela.
Une image ?
Le peintre américain, Tom Uttech qui fait des tableaux de fôret, avec des espèces d’animaux et d’arbres en coexistence, que je trouve magnifique.
Un toucher ?
Mettre les mains dans la terre !
Un restaurant à nous recommander ?
L’Orillon dans le XXe, pour le lieu et la cuisine qui propose des plats, originaux, bons et simples à la fois.
Un commerce de quartier ?
Je vais tous les jours chez Rayon, une épicerie dans le marais, ils sont supers, et en plus ils font des soupes et des quiches très bonnes à déjeuner, et le proprio est très sympa.
Un.e producteur.ice ?
La productrice de La Ferme de Paris, qui travaille en permaculture. Sa ferme s’appelle Court Circuit, et elle travaille avec une amap et des restaurants. Je la filme pour mon prochain film.
Une actualité ?
La diffusion de mon film sur Labo ciné qui s’appelle Espèces pionnières, du 1er au 30 Avril.
Un livre à recommander ?
Le livre de Sabine Barles, dont j’ai parlé plus tôt, L’invention des déchets urbain (France 1790-1970 )
Merci Jack !
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