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Fine Gueule

Pilar d'Amuri

Bonjour Pilar, où étais-tu avant de venir en France ?

Je suis née et j’ai grandi à Buenos Aires. J’ai étudié un peu l’architecture, le cinéma et la musique mais j’ai abandonné pour travailler comme pâtissière. J’ai fait des stages et j’ai été commis dans divers restaurants. Par la suite, j’ai commencé à réaliser des gâteaux argentins, bien que je n’aie pas fait d’études en pâtisserie. Je suis venue en France en 2019 pour suivre une formation.

Comment t’es venu le goût de la pâtisserie ?

Mes parents et mes grands-parents cuisinaient beaucoup. Dans ma famille, les repas sont très importants, surtout les week-ends et pendant les vacances, où nous prenons le temps de préparer des plats ensemble. Ma famille est italienne, et les repas sont l’occasion principale de se réunir (d’ailleurs, c’est ce qui me manque le plus). C’est  comme ça que j’ai commencé à cuisiner des cakes et des gâteaux. J’utilisais les recettes de ma grand-mère espagnole que je n'ai presque pas connue, mais qui m’a laissé ses recettes ainsi qu’un vieux pétrin que j’ai récupéré. Vers l’âge de treize ans, j’ai commencé à utiliser ce pétrin et à m’intéresser à la pâtisserie. C’était une excuse pour éviter les études. Quand j’ai passé plus de temps à travailler dans des restaurants, à cuisiner, qu’à étudier, j’ai compris que ce qui m’intéressait le plus était de travailler avec mes mains. J’ai donc commencé à vendre des gâteaux de chez moi et à donner des cours de français en parallèle.

Là tu as décidé d’aller étudier la pâtisserie à Paris ?

Oui, je parlais français et j’ai rejoint des amis qui vivaient là. J’ai fait une petite formation en pâtisserie à l’école Lenôtre, et j’ai beaucoup aimé ça. Ensuite j’ai fait un stage au Meurice. C’était une super expérience mais j’ai beaucoup souffert. J’ai découvert la vraie hiérarchie. C’était vraiment l’armée. Je n’ai pas trop aimé , il y avait un esprit de challenge dans la cuisine qui me mettait mal à l’aise. Mais grâce à leur exigence c’est aussi là que j’ai appris le plus au niveau de la méthode, des questions d’hygiènes, de l’organisation.

Tu peux nous raconter tes débuts dans la pâtisserie ? 

Après, j’ai travaillé au restaurant Grand Coeur, qui fait partie du groupe Vertigo. Le chef Mauro Colagreco a conçu le menu et vient le superviser tous les mois. Au départ, ils cherchaient quelqu'un pour la cuisine, mais ils m’ont prise malgré tout. Être la seule femme en cuisine était difficile, mais il n’y avait pas de discrimination, et j’étais très respectée. Par hasard, on parlait espagnol en cuisine, ce qui était plus familier. Au début, j'aidais au poste salé en service déjeuner ou diner, puis j'ai été principalement la pâtissière. Le chef m’a donné la possibilité de créer des desserts. Ils ont accepté que je propose ma propre carte. Par exemple, une pavlova avec une crème au combava, de la mangue, une crème anglaise et de la menthe, ou un millefeuille avec de la crème pâtissière à la verveine et des poires pochées. Il y avait cinq desserts sur la carte. J’ai beaucoup appris, c’était mon premier travail en France. Ensuite, le restaurant a fermé pendant le covid. Plus tard, j’ai été appelé à faire un essai pour travailler à Mamiche et à Le Petit Grain ou j'avais envoyé mon cv mais je n'ai pas été embauchée. J’adore toujours ces endroits, et j’étais convaincue que c’était vraiment ce que je voulais faire. J’aime beaucoup travailler le matin, et utiliser le laminoir en buvant un café.

Comment est venue l’envie de monter ton propre projet ?

Pendant le covid, je me suis retrouvée dans une impasse. J’avais quitté mon travail pour retourner en Argentine, mais je suis finalement restée. J’ai commencé à faire des gâteaux chez moi pour des Argentins qui vivaient à Paris. Les commandes affluaient, mais j’avais une cuisine minuscule et je vivais en colocation dans le XIIIe. Quand la pandémie s’est calmée, j’ai hésité à retourner en Argentine, mais l’idée d’ouvrir ma propre pâtisserie en France me séduisait davantage, surtout pour les Argentins qui me disaient souvent que les alfajores leur manquait à Paris. Je me suis mise à vendre mes pâtisseries en tant qu’indépendante pour le café Lomi dans le XVIIIe. J’y avais aussi mon propre espace pour faire d’autres commandes. Des Argentins venaient, et je faisais déjà des medialunas et d’autres gâteaux argentins. J’ai adoré le rythme des cafés, travailler pendant la journée. J’ai cherché un endroit et j’ai fini par trouver cet espace dans le XXe. Je suis venue en plein hiver, il n' y avait presque personne. Je ne connaissais pas du tout le quartier, mais j’ai aimé la rue calme et bordée d’arbres. Cela s’est fait rapidement, car l'endroit était vide depuis longtemps et il n’y avait pas de bail commercial en cours. J’ai aménagé toute la cuisine et ensuite simplement ajouté des étagères, un comptoir trouvé dans un marché aux puces, et une architecte a dessiné le reste de la menuiserie en réutilisant des materiaux.

Comment ça s’est passé au début ?

Au début, je préparais des gâteaux la veille : uniquement des alfajores au dulce de leche, des medialunas que je faisais à la main, et des scones que j'enfournais le matin. J’étais au comptoir avec seulement une machine à café filtre. Rapidement, j’ai réalisé que les Français préféraient les expressos, alors j’ai investi dans une machine à café plus professionnelle et dans un laminoir pour les medialunas. Ma vie a changé avec la machine, car je vendais quarante medialunas par jour. Très vite, il y a eu beaucoup de clients, et j’ai dû adapter le modèle : j’ai commencé à embaucher du personnel. J’ai d’abord pris quelqu’un pour servir, puis une pâtissière, et j’ai aussi engagé une cuisinière car les demandes de plats salés se faisaient de plus en plus fréquentes. En 2024, pour la première fois, j’ai une équipe complète et je peux enfin m’occuper de l’administratif à des heures normales, plutôt que de le faire à 1h du matin. Je continue de préparer des medialunas, comme j’adore ça, et les gâteaux pour les commandes spéciales.

Que fais-tu avec tes invendus ?

Si jamais il y en a, ce qui est rare, je prépare un dessert argentin appelé « budín de pan » ou flan, en utilisant les chutes de medialuna ou brioche, des œufs, lait et du caramel. Les gens apprécient beaucoup ça.

Quel est ton choix en matière de sucre ?

J’utilise uniquement du sucre de canne. Les pâtisseries argentines sont assez sucrées. Je m’adapte au palais local, qui préfère des douceurs un peu moins sucrées, mais les gâteaux restent gourmands et assez sucrés, surtout avec le dulce de leche.

Comment choisis-tu tes produits ?

Je travaille avec des distributeurs qui privilégient le local et le durable, comme La Grande Crémerie, dont le beurre est excellent pour les viennoiseries, ou Primeurs Passion. J’aimerais améliorer encore la qualité des produits, mais c’est compliqué. Pour les épices et les fruits secs, je fais appel à Biorgania. J’utilise le chocolat de Xoco gourmet et parfois pour les confitures ou tartes salés je passe par Naturenville ou Kelbongoo qui sont à côté et proposent de bons produits de saison...

Ça représente quoi la pâtisserie pour toi ?

Pour moi, la pâtisserie est un vrai plaisir et une source de détente. C’est presque thérapeutique. Je pense que pour les gens aussi la pâtisserie est liée à tout ce qui est beau et bon. Rien que d’y penser, ça nous fait du bien.

Qu’est-ce qui est primordial pour réussir une recette en pâtisserie ?

Il est essentiel d’utiliser les bons outils et la bonne technique. Par exemple, il ne faut pas trop fouetter une pâte à choux pour éviter qu’elle ne gonfle excessivement.

Qu’est-ce qu’on pourrait améliorer dans le domaine de la pâtisserie ?

La pâtisserie est souvent associée aux femmes, alors que j’ai beaucoup d’amies qui sont des cuisinières talentueuses. Il est important de changer cette mentalité. Par exemple, une amie cuisinière cherche un emploi, mais on lui propose toujours des postes de pâtissière. Ce n’est pas parce qu’on est une femme qu’on est forcément intéressée par les gâteaux. En 2024, on continue de voir la pâtisserie comme une activité féminine, et il faut que ça évolue. Ceci étant dit, quand bien même les femmes sont plus liées à la pâtisserie, plus d’hommes la pratiquent en cuisine, du moins dans les lieux où j'ai travaillé...

Avec toutes tes expériences, qu’est-ce que tu as appris ?

Je pense que j'ai beaucoup appris, surtout des personnes avec lesquelles j'ai travaillé auparavant. Mais avec Pilo's c’est la première fois que je travaille directement avec les clients. Avant, je n'étais en contact qu’avec les produits et les matières premières, dans une cuisine, pas forcément connectée à la salle ou aux clients. Le travail en cuisine est très introspectif. J’ai appris à mieux communiquer avec les gens, et c’est très stimulant de recevoir des retours en temps réel. C'est aussi parfois tout un effort psychologique, particulièrement le service à table quand on est plutôt habitué au service silencieux et dynamique de la production en cuisine. Ce sont deux rythmes différents, deux climats différents, et l'énergie aussi.

Qu’est-ce que tu aimerais apprendre de nouveau ?

J’aimerais beaucoup améliorer mes pains au levain ! J'ai appris à en faire pendant le covid. Dans les cours de boulangerie que j'ai fait étant plus jeune on utilisait toujours de la levure alors que le levain naturel est utilisé depuis des siècles...

Dernièrement, un souvenir gustatif marquant ?

Un midi chez Paloma, j’ai dégusté une viande effilochée avec une purée de pommes de terre. C’était vraiment délicieux, et en plus, leur formule est très abordable.

Une odeur ?

J’aime beaucoup l’odeur du santal, même si ce n’est pas très culinaire. Récemment, j’ai senti un client qui dégageait une odeur de naphtaline, et cela m’a rappelé mon grand-père, ça m'a rendue nostalgique. Et bien sûr, l’odeur d’un gâteau à la cannelle qui sort du four et qui envahit tout le café ; c’est un parfum que j’adore.

Un toucher ?

J’adore la pâte des medialunas, qui est entre le croissant et la brioche. Elle est extrêmement douce à travailler.

Une image ?

J’aime beaucoup voir la découpe du chocolat. En Argentine, on ne découpe pas les alfajores, on les mange à la main. Ici, les gens les partagent avec un couteau, et je trouve très esthétique de voir une tranche de chocolat parfaitement découpée.

Un restaurant ?

À Buenos Aires, il y a un super bistrot qui utilise des produits vraiment uniques, c'est Las Pizarras bistro. C’est un endroit exceptionnel où la cuisine est à la fois créative et savoureuse. Le chef Rodrigo est un ami. C'est lui qui m'a ouvert les portes afin que je fasse mes premières expériences de pâtissière à Buenos Aires. Je lui dois beaucoup !

Un pâtissier ou une pâtissière ?

Rosina ! J'admire son travail, je suis son parcours et elle est passée par plusieurs endroits à Buenos Aires que j'aime beaucoup. Elle est actuellement à la tête du Togni's café à Buenos Aires.

Y a-t-il une pâtisserie ou un lieu que tu trouves particulièrement inspirant ?

J'aime beaucoup aller chez Ten Belles rue Bréguet quand  j'ai le temps (XIe arrondissement de Paris). Il y aussi Sammy and Joe (XIe), un petit café adorable, et je m'entend très bien avec la fille qui l'a ouvert. J’ai goûté aux créations de Norma Bakery dans le IXe à Paris, et leur roll à la cardamome était délicieux. J’adore aussi le Kouign-amann aux noix de pécan du Petit Grain (dans le XXe), hyper caramélisé et incroyable. J'ai également hâte d'aller à Caphette, un café franco-vietnamien qui a ouvert il y a très peu par Adeline et son copain. Il y a toujours de nouveaux endroits mais on n'a pas le temps de tout goûter !

Un commerce de quartier ?

J'aime bien le caviste La Goutte des Gâtines ; ils viennent souvent à mon café et je leur achète du vin. Sinon, j’aime aller à La Roseraie, une fleuriste très sympa rue des Pyrénées, et je fais un passage obligé au Comptoir des Mots, une superbe librairie à côté. Il y a aussi le Magasin Général, rue de la Cours des Noues, quand on a le temps de fouiller !

Une astuce de pâtisserie à partager pour cuisiner à la maison ?

Il est essentiel d’avoir un plan de travail impeccable. Et il faut essayer de rendre tout le plus homogène possible lors des mélanges. Et quand on fait un gâteau, c’est pratique d’avoir un plateau, une barquette ou un bol d’eau chaude à portée de main pour poser le matériel sans avoir à le laver constamment.

Merci Pilar !

photo ©Ioni Epel

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