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Fine Gueule

Oscar Paz

Bonjour Oscar, peux-tu nous raconter comment tu as découvert la cuisine ?

Je suis né et j'ai grandi à Mexico, la capitale. J’ai toujours été un grand fan de nourriture et de cuisine. La culture familiale et les traditions au Mexique ont nourri ma passion pour la cuisine, car chaque week-end nous avions des fêtes où l'on socialisait autour de la nourriture et des boissons avec des amis. Ma grand-mère a été une grande source d'inspiration pour moi. Elle préparait toujours les repas familiaux pour Noël et les grandes fêtes. Je l'aidais à éplucher les pommes de terre, nettoyer le poisson ou toute autre tâche que l’on me demandait. Toute la famille mettait la main à la pâte, tout le monde assis autour de la grande table. Il y avait toujours cette joie d'être en famille, le bonheur, l'amour mis dans la nourriture. Pour mon anniversaire, je choisissais toujours un restaurant. Le reste du temps, je cuisinais pour moi et mes sœurs. Après mes devoirs, je cuisinais avec ma nounou. C'était toujours réconfortant d'être dans la cuisine, d'y passer du temps. Lors des fêtes, je voulais rester dans la cuisine, on se retrouvait avec la plupart de mes amis, on buvait du vin, on grignotait. C'est toujours comme ça que j'apprécie de faire la fête, d’ailleurs.
La cuisine de ma grand-mère, c’est la cuisine de l'âme. C'est assez drôle parce que quand je suis allé à l'école de cuisine j'ai appris la façon traditionnelle de cuisiner des morceaux de viande ou des pâtes, souvent très différente de celle de ma famille, par exemple, apprendre à faire une émulsion , ou un « e mantecato » (à la crème), une sauce soyeuse, bien nappante. J’ai trouvé cela très bon, les techniques étaient superbes, mais cela n'avait jamais le même goût que les plats de ma grand-mère, que j’aimais encore plus. Par exemple, quand ta mère te fait une soupe de poulet, c'est très simple et pourtant cela te nourrit tellement. C'est très spécial pour moi.
J’étais très passionné par la cuisine mexicaine. Vers seize ans, quand je me suis davantage intéressé à la cuisine, j'ai commencé à voyager avec mes amis, à travers le pays pour découvrir les différences culinaires de chaque région. Nous étions de grands fans de football, donc nous regardions des matchs dans différents endroits et découvrions les spécialités locales. La cuisine du sud est très différente de celle du nord ou de la côte. Les différences culturelles dans la cuisine mexicaine sont fascinants. La manière de préparer la nourriture était toujours très différente, et cela m'intéressait énormément.

Tu pensais devenir chef à ce moment-là ?

Non. C'était juste pour le plaisir. J'ai commencé des études de droit, mais cela ne me plaisait pas et j'ai réalisé que je voulais travailler dans la cuisine. J'avais vingt ans en 2010 et ce fut un petit choc pour mes parents, car la plupart de mes cousins étudiaient l'architecture ou l'ingénierie. Mais ils ont vraiment soutenu ma décision, car ils savaient que j'étais passionné par la cuisine depuis l'enfance.

Quand tu as commencé à cuisiner à l'école, était-ce toujours un plaisir ?

Avant, la cuisine était un hobby et c'est devenu vraiment spécial pour moi. J'apprenais tellement.  Comme faire un consommé parfait, les bases, nettoyer les haricots correctement. J’étais obsédé par la cuisine. J'essayais de pratiquer autant que possible, à l'école, à la maison. J'avais des cours de démonstration et ensuite je pratiquais avec mon équipe. Après six mois d'études, j'ai eu mon premier stage. Je suis allé dans un hôtel à Cancun avec mes meilleurs amis (rencontrés à l'école de cuisine), car nous voulions être près de la plage. Nous faisions de longues heures, donc nous faisions un travail régulier comme tout le monde. Commencer à cuisiner professionnellement est devenu pour moi comme un vrai sport. Vous arrivez très tôt, vous préparez tout, vous ne pouvez pas faire d'erreur pendant le service, il y a beaucoup d'adrénaline et de discipline. J'aimais ça. Vous devez avoir les cheveux courts, être rasé, être à l'heure. Notre chef était italien, très strict. Le service commençait à 5h45 et à 6h vous deviez être prêt à votre poste. J'ai trouvé cela incroyable, j'appréciais tellement la discipline. Faire la mise en place, préparer beaucoup, puis quand le service commençait, c'était comme un match complet, le temps passe très vite. Pour moi, c'était une pure joie. Penser que j'allais être payé pour faire cela était absolument incroyable.
En revenant, j’ai commencé à m'intéresser de plus en plus aux chefs importants au Mexique, à les suivre, à voir où ils avaient étudié, quels produits ils utilisaient, et si je pouvais faire un stage chez eux. J'ai fait un stage chez Benito Molina, un chef francophile qui avait étudié à San Francisco avant d'ouvrir son restaurant en Basse-Californie. Il était un pionnier, apportant des produits incroyables en cuisine. Grâce à lui, de nombreux endroits connaissent maintenant ces produits. On y trouvait des poissons de la même qualité qu'au Japon, ainsi que beaucoup de vins, de fromages et d'autres produits. C'était dans une petite ville. On allait à pied au marché aux poissons, avec tous les producteurs qui apportaient leur pêche du jour, et on commençait à créer des plats en fonction du marché et des saisons, en travaillant avec les agriculteurs et les producteurs. Les tomates avaient le goût parfait des tomates, les oignons que l'on prenait directement du sol étaient encore chauds, l'ail frais, les fruits frais… C'est vraiment là que je suis tombé amoureux de la cuisine.

Après ton diplôme qu'as-tu fait ?  

Un bon ami à moi, qui était à New York, m'a dit que je devrais venir découvrir la scène culinaire là-bas. C'était le paradis de découvrir l'intensité de la cuisine. J'ai commencé dans un restaurant coréen pendant un an et demi. Ce fut un bon choc pour moi car j'ai découvert une autre cuisine, et j'ai été vraiment impressionné par les ingrédients. Quand je suis arrivé à New York, je ne parlais pas couramment anglais. Parfois, les chefs me criaient dessus en anglais et je ne comprenais pas un mot !  J'ai ensuite travaillé à Casa Mono, un petit restaurant espagnol avec une cuisine ouverte. Ils avaient un programme de boucherie complet, ils prenaient un bœuf et un agneau chaque semaine et les découpaient entièrement ; viande, charcuterie, sans aucun gaspillage. C'était à cinq minutes à pied du marché de Union Square, où l'on allait chercher les produits de saison. Ce niveau d'exécution au quotidien me procurait beaucoup de joie. J'étais entouré de gens vraiment passionnés par la nourriture. Au Mexique, il n'y a pas une telle rotation des aliments, pas ces saisons, c'était nouveau pour moi et j'adorais ça. J'ai appris à mélanger tous ces produits de saison. Pour moi, c'était la véritable école, celle qui a développé toute ma créativité.
Après cela, je suis allé chez Shuko, un restaurant japonais Omakase, avec seulement dix-huit places, très intime, sombre, super minimaliste. Ils jouaient du hip-hop toute la nuit. Le chef avait une grande personnalité, très particulier. Avec deux autres chefs nous faisions un menu qui était servi avant le plat de sushi, en fonction du marché. Un menu pas trop lourd, basé sur la saisonnalité. J'ai mis la plupart de mes connaissances là-bas, en changeant les plats tous les jours. Puis la pandémie est arrivée et tout a fermé, toute la scène des restaurants a beaucoup changé. Finalement, lorsque les choses ont commencé à rouvrir, The Four Horsemen m'a embauché. Une période incroyable de ma vie. C’est un endroit très spécial à New York, l'un des premiers bars à vins naturels. Ils ont la meilleure carte des vins de New York et la cuisine est nouvelle-américaine, très saisonnière.  L'exécution est vraiment unique, dans une très petite cuisine où vous faites tout du début à la fin. On moud les grains pour faire la farine du pain qu’on va cuire, par exemple. Pareil pour le poisson, on le découpe entièrement. On apprend tellement parce que tout le monde là-bas est passionné, veut une carrière de chef. Ils utilisent les produits intégralement sans gaspillage. Et tout cela est devenu plus naturel pour moi. Je pense qu'on devient un vrai chef quand on apprend à ne rien gaspiller en cuisinant un produit, une fois que vous avez compris le temps qu'il faut à un producteur pour cultiver ces incroyables produits.

Quelle est ta relation avec la cuisine française ?

Après mon passage chez The Four Horsemen, j'ai aidé à organiser quelques pop-ups et je suis allé à Paris en 2021, où je suis tombé amoureux de la cuisine française et des classiques français. C'était ma première fois en France, et c'était une révélation de rentrer dans un bon bistrot à Paris. L'atmosphère était frappante : pas de musique, juste le son des assiettes et des couverts qui s'entrechoquent sur les tables. Ils apportaient un tableau avec les plats du jour, tout de saison. J'ai goûté des asperges blanches parfaites, le meilleur beurre, et du pain fraîchement cuit. C'était comme composer une chanson, chaque note s'assemblait harmonieusement. L'expérience a eu un sens profond pour moi.

Comment décrirais-tu ta cuisine ?

Elle est principalement basée sur la cuisine française, mais elle intègre des éléments et des techniques que j'ai appris au fil des années. Cela peut inclure des méthodes japonaises appliquées à des concepts français ou l'utilisation d'ingrédients de diverses cuisines.

Qu’as tu acquis avec l’expérience ?

Mon amour et ma passion pour la cuisine se sont transformés en une obsession. La cuisine est ma maison. Après toutes ces années, cuisiner est devenu semblable à choisir de la musique dans votre bibliothèque un jour ensoleillé, en sélectionnant quelque chose de spécial en fonction de votre humeur. Cuisiner est pareil - cela dépend de son humeur et de ses envies. C'est comme avoir une palette de couleurs et décider comment les utiliser. Je suis un grand fan de la cuisine thaïlandaise avec ses éléments aigres, épicés et croquants, ainsi que de la cuisine péruvienne. J'incorpore également ces influences dans mes créations. Quand j'ai mentionné la soupe de poulet de votre mère, et l'amour qu'elle y a mis et que vous pouvez ressentir, c'est la même chose avec la cuisine. Je me demande toujours comment les choses pourraient s'améliorer : comment trouver de meilleurs produits, et ce qui peut être sauvé au lieu d'être jeté. Je n'aime pas copier les plats, mais je sais que je ne réinventerai pas la roue. Il est toujours agréable de se lancer des défis.

Penses-tu qu'il y ait quelque chose dans le monde de la cuisine qui pourrait s'améliorer ?

Réduire le gaspillage serait essentiel. Simplifier les processus pour éviter le gaspillage et créer de nouveaux plats à partir d'éléments qui seraient normalement jetés peut faire une grande différence. Vous ne réalisez pas l'importance jusqu'à ce que vous travailliez avec des produits vraiment frais et puissiez comparer. Nous devons être plus conscients de la façon dont nous mangeons et créons la nourriture.

Quelle est ta partie préférée dans ton travail ?

J'adore la préparation, la mise en place. C'est un moment très calme, presque comme une méditation. J'ai une longue liste de tâches à accomplir, surtout les jeudis et vendredis, qui sont des jours chargés dans les restaurants de New York. Je fais la préparation avec deux autres cuisiniers, et cela peut être très silencieux, avec seulement les sons du mixeur, du batteur, de la cuisinière et du gril. C'est comme mettre la vie en sourdine.

Ressens-tu l'ambiance de la salle lorsque tu es en cuisine ?

On peut ressentir l'énergie lorsque les gens s'amusent parce qu'ils deviennent bruyants. On entend le tintement des verres. Souvent, quand les gens adorent la nourriture, ils viennent en cuisine pour nous le dire, même ceux qui ne font pas partie du milieu de la restauration. C’est très spécial pour moi et toute l’équipe, cela nous rassure sur le fait que nous faisons les choses correctement.

Comme tu étais récemment à Paris, peux-tu partager avec nous quelque chose de mémorable que tu y as goûté ?

Les épinards au Bistrot des Tournelles étaient inoubliables. Juste des épinards tombés avec une généreuse quantité de beurre, finis avec du jus de citron, du sel et du poivre. Tout y était superbe. En numéro deux, la crème brûlée au Café des Deux Gares, et en numéro trois, le plat d'asperges avec du turbot et des calamars à Maison Sota. Il comportait des asperges blanchies avec du laurier et des blettes, ce qui était absolument incroyable.

Une odeur à Paris ?

L'arôme d'un restaurant animé quand vous y entrez est incroyable — un mélange de cognac, de crème, de graisse, d'ail et d’oignons. Sinon, les lilas en fleurs au printemps lorsque vous vous promenez autour des Buttes de Chaumont et des Tuileries, et l’odeur de la pluie sur le béton français.

Un toucher mémorable à Paris ?

Les coques au Chateaubriand. Des coques avec des asperges blanches et vertes et de la rhubarbe — un véritable coup de cœur. L'arôme était également incroyable.

Un son mémorable à Paris ?

Le son d'un bistrot sans musique, juste le cliquetis des assiettes. J'ai remarqué qu'à Paris, s'il n'y a pas de musique, la nourriture est généralement excellente. J'aime prendre un dîner tôt quand c'est calme et regarder les gens arriver.

Une image mémorable à Paris ?

Au Café du Coin, il y a deux ans. Nous étions une table pleine de chefs, tard dans la nuit, avec Nadia (ma femme). Nous buvions un magnum de vin, Le Temps Fait Tout. Et maintenant, Nadia est là avec mon bébé. C'est émouvant.

Un.e chef.fe français.e ?

Je suis un grand fan des gens de Septime. Je pense qu'ils ont eu un impact sur tant de lieux. L'artiste principal est Bertrand et les choses qu'il crée sont incroyables parce qu'il a sa propre vision, il est très sûr de ce qu'il veut, de lui-même et de ses produits.

Un restaurant à nous recommander à New-York ?

Les Parisiens apprécieraient Estela, dans le quartier de Nolita; la cuisine y est très précise et tend vers la simplicité, bien exécutée. C’est toujours animé et agréable.

Un.e collègue ?

J’admire Eduardo Garcia du restaurant Maximo à Mexico City. J'admire qu'il soit venu aux États-Unis illégalement, et qu’après avoir observé la scène et acquis de l'expérience, ait décidé qu'il n'avait pas besoin de travailler pour quelqu'un d'autre et ait ouvert son propre établissement. Il l’a nommé d'après son fils après qu’on lui ait dit qu'il ne le reverrait jamais. J'apprécie qu'il cuisine en direct dans le restaurant qu'il a ouvert. J'admire non seulement sa cuisine mais aussi son courage.

Un commerce de quartier ?

Nous vivons dans le Queens, et quand nous avons envie de snacks et de boissons, nous allons dans cette superbe fromagerie, Stand Alone. Ils travaillent avec des producteurs, proposent d'excellents fromages et ont de bonnes bouteilles de vin.

Une actualité à partager ? 

Je débute chez Fox Face Natural, un restaurant très inventif de Manhattan, qui utilise principalement des produits locaux, et des produits exceptionnels. Je l'ai choisi car un tel niveau d'execution, de rotation des produits, des saisons, à New York, est rare. La cuisine est sous la houle du chef de Perse, un historique restaurant triplement étoilé. 

Merci Oscar !

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