L'app du bien manger et du gaiement boire !

Fine Gueule

Mikael Lemasle

Mikael Lemasle a ouvert Crus et Découverte en 2003 alors qu’il était agent de vignerons. Venu à Paris après une fac de droit à Brest pour faire une école de commerce, il trouve ensuite un travail de six mois chez Guerlain à l’époque du rachat par LVMH mais cela ne lui correspond pas, il n’aime pas la hiérarchie. Il choisit de changer de filière et fait une licence viti-vinicole dans la Drôme. Après un an d’armée, il trouve un travail dans une agence commerciale, le Bristol, et devient agent de vin pour eux, à son compte, pendant quatre ou cinq ans. La dernière année il ouvre sa cave parallèlement, puis arrête de faire agent. Le caviste est né.

Bonjour Mikael ! Pourquoi avoir choisi le monde du vin ?

Le vin, ça m’évoque le dimanche midi en famille, à seize ans. Tu sors la bouteille de Bourgogne. Mes parents avaient une petite cave, on faisait des week-ends dans la Loire quand j’étais adolescent, on se baladait, on allait voir des vignerons. J’ai toujours aimé le vin, chercher à acheter des petites bouteilles dans des caves. Quand j’ai voulu trouver un travail qui me plaisait, après Guerlain, je me suis dit que c’était un domaine où l’on pouvait toujours apprendre, toujours se spécialiser.

Comment est venu ton projet de cave ?

J’étais pas mal dans des bistrots, comme le Quatorze Juillet par exemple, tenu par Emmanuel qui nous mettait une quille en carafe à l’aveugle, ou l’Ardoise, le Montabor, le Square Trousseau à l’époque, tenus par des mecs qui s ‘y connaissaient bien en vin, et je goûtais un peu de tout, des choses qui allaient vers le nature déjà. Je cherchais le côté authentique du raisin. Au bout de trois ou quatre ans comme agent, j’avais envie d’avoir un endroit, et j’ai ouvert ma cave. Je cherchais des vins avec le goût du raisin, du terroir, des vins pas trop fabriqués. Le terme nature n’était pas vraiment utilisé à l’époque. J’ai fait parti de la deuxième vague des gens qui ont apporté le nature à Paris, quand ça s’est un peu démocratisé (après les Camus, les Jean-Pierre Aubineau)

Comment se sont passés les débuts ?

La première année je faisais des grosses journées, car j’étais toujours agent. Puis j’ai arrêté agent et les cinq premières années, j’ai gagné le smic, il n’y avait pas grand monde. Au bout d’un an, il y avait pas mal de vignerons qui se baladaient pour faire goûter leur vin. Paris était limite le seul débouché pour le vin nature.. Il y avait le onzième et les japonais, quoi ! Patrick Desplats du Domaine des Griottes, et Olivier Cousin sont venus un jour, en camion, à la fermeture. Il leur restait beaucoup de vin, on a bu pas mal de coups. Desplat était convaincant, il était déjà beaucoup sur les énergies naturelles. Ils étaient déjà au cheval dans les vignes, eux. Le lendemain, j’étais perché, mais plutôt en forme. Mon corps avait dit oui ! Je me disais que leur truc avait une bonne énergie. Quand je suis arrivé à la cave, j’avais acheté une palette, qui était là. J’ai regoûté, puis fait goûter aux gens, et c’était parti. Ensuite cela à fait effet boule de neige, car les vignerons à l’époque se passaient les adresses des gens intéressés. Ça a été Babass, Jean-Christophe Garnier, les mecs du Beaujolais, Pic et boisson qui était agent de vin et qui était venu avec Marcel Lapierre. Son Morgon était intéressant ; il faisait la cuvée non filtrée mais sulfitée, non sulfitée mais filtrée, non filtrée et non sulfitée, comme ça tu pouvais faire la différence. Les 2005, j’ai tellement aimé ça que j’en ai fait trois palettes dans l’année, je le vendais à tous les clients : « Vous mangez un poisson ? Prenez un Morgon Lapierre 2005 ! Vous mangez une viande ? Prenez un Morgon Lapierre 2005 ! » . Ce que j’ai aimé avec le nature, c’est que cela mettait un sens à ce métier, une dimension sociale et politique, même si vingt ans après on est très loin de ça, c’est devenu du vin pour bourgeois, mais bon c’est comme ça.

Les choses ont beaucoup changé pour le nature depuis ?

On disait déjà vin sans sulfite, sans chimie, ou plutôt naturel… C’est quand même ce qui les définit ! Au début heureusement que j’étais jeune, que je n’avais pas d’enfant, pas trop de besoins financiers, et un peu de conviction, car cela m’a permis de convertir du monde. Parfois, des gens me rapportaient des bouteilles en disant « c’est bizarre ça a le goût du raisin ». Bah il y en quand même à peu près cent pour cent dedans. Tu as dû manger trop de vache qui rit et tu ne sais plus ce que c’est le fromage ! Il y a un truc qui ne va pas ! C’était nouveau pour plein de gens… Souvent ils revenaient le lendemain avec la bouteille car elle ne leur semblait pas bonne ; pétillante, qui sentait la ferme. On se mettait au coin du bar et je leur refaisais goûter. Réduction et gaz, le lendemain souvent c’était parti et ça marchait… Aujourd’hui, cela n’a plus rien à voir, le contexte a changé, et les réseaux sociaux ont tout changé. Quelqu’un qui s’installe, fait une belle étiquette, peut être tout de suite reconnu avec les réseaux, et c’est devenu international. Avant les vignerons natures devaient cravacher pour vendre leur production, la vendre au-dessous du prix que ça devait être, aujourd’hui ils peuvent être dans une logique de développement. C’était une histoire de conviction pure, aujourd’hui c’est un peu galvaudé. Avant les vignerons bossaient de façon empirique, aujourd’hui il y a une idée de concept (pas toujours en lien avec ce que goûte le vin!) mais ça m’arrange plutôt bien que ça marche mieux !

Comment tu introduisais le vin nature à ceux qui ne le connaissaient pas ?

Je disais aux gens de ne pas trop goûter le vin avec leur tête, d’écouter le ressenti de leur corps quand ils buvaient, éventuellement avec leur coeur s’ils savaient le faire fonctionner. Si t’es un peu ouvert, que tu aimes bien la vie, je ne vois pas comment tu ne peux pas aimer le vin nature, il y a quelque chose comme ça qui est marrant.

Tu penses quoi de la viticulture ?

Qu’il ne faut pas trop en faire ! Pas faire de mauvaises choses, ça sert à rien de mettre du désherbant par exemple.

Qu’est ce que tu as appris de ton expérience de caviste ?

Je suis content de toutes ces rencontres humaines, les vignerons, les clients. Dans une vente en boutique, c’est chaque fois un sketch. J’ai appris beaucoup des clients sur le vin, par exemple, des passionnés. Aussi, avant je n’étais pas forcément à l’aise socialement, j’étais timide, et cette expérience m’a aidé.

Qu’est ce que tu préfères dans ton métier ?

Le rapport avec les vignerons. Acheter le vin.

Tu dirais quoi à quelqu’un qui veut se lancer comme caviste ?

Si ça te fait plaisir, vas y, c’est comme tout !

Est ce que tu veux nous parler d’un.e vigneron.ne ?

C’est pas évident, mais je dirai Jean-Christophe Garnier, du domaine les Tailles. On est amis depuis longtemps et j’aime ce qu’il fait. Je fais la semaine des vendanges avec lui chaque année. On partage beaucoup de choses. Il est positif, bienveillant, intelligent, il réfléchit à la vigne. On a un petit chenin ensemble. Il m’a permis d’acheter un petit bout de vigne sur ce terroir qu’on partage. J’avais acheté une petite amphore, donc on a mis quelques grappes entières dans du jus, pour faire une petite macération. Des nouveaux vignerons, il n’y en a pas tant que ça, je trouve que finalement les gars qui sont là depuis dix ou vingt ans ne mollissent pas, et font même mieux maintenant. Quand t’es vigneron, si t’as l’esprit ouvert, l’expérience porte ses fruits, il y a une autre énergie dans le raisin quand ça fait quinze ans que tu travailles ta vigne.

As tu un restaurant de cœur à nous conseiller ?

Le Cadoret, dans le XIXème. C’est mon copain Louison qui tient ça, et sa soeur Léa qui cuisine. J’aime bien parce que c’est dans une ancienne brasserie, et tu peux prendre des supers cafés à 8 h le matin et des supers bonnes bières à la pression. En même temps tu manges hyper bien, sans esbrouffe, des bons produits, une belle exécution de bistrot… Ça j’aime bien.

Un collègue dont tu voudrais nous parler ?

Comme collègue caviste, j’aime l’approche d’Oliver qui tient la cave de Rock Bottles dans le  XVIII ème arrondissement de Paris, même si je n’y suis jamais allé. Il a une bonne passion du vin, il aime les jolies choses.

Une bonne adresse à nous donner ?

En face, la boulangerie de Terroirs d’Avenir, pour une fois qu’on a une bonne boulangerie ! Sinon on est contents du poissonnier Julien et Marielle rue de Charonne, qui est super.

Une bouteille qui t’a marquée ?  

Un Côtillon des dames de Jean-Yves Péron, c’est quand même une bouteille que je bois depuis longtemps. J’y suis bien attaché, notamment les 2019, très bons. Des Jacquères en Savoie en macération. J’aime bien le côté pointu de cette bouteille. Il y a des belles acidités qui font bien saliver. C’est un vin qui peut se boire à l’apéro. On peut mettre aussi des coquillages, et une petite touche légèrement asiatique aussi ça peut être bien.  Avec le fruit, il y a toujours un côté minéral, végétal, qui est intéressant.  

Une actualité à nous partager ?

Dès début Septembre, le vendredi à partir de 19h, on va faire des apéros ouverts à tout le monde. L’idée c’est de proposer deux trois petites choses à grignoter, des assiettes, et de sortir les quilles qui vont avec. Des bouteilles que l’on peut choisir, et quelques vins au verre, pour faire un apéro gourmet. Haruka, qui travaille à la boutique, cheffe de cuisine passée par Abri et Saturne, qui a ouvert le resto de poche d’inspiration franco-japonaise 6036 rue Jean Pierre Timbaud, puis un autre à Belle-île, avant de revenir travailler à Paris, cuisinera.

Merci Mikael !

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