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Marc Levent vinifie du vin dans un chai urbain à Montreuil, avec ses deux acolytes de Michto Vino.
Salut Marc, tu es pianiste de formation, comment en es-tu arrivé à travailler dans le vin ?
Je me suis toujours intéressé au vin, mais c'est venu totalement par hasard que j'en fasse ma profession. Après avoir démissionné de mon poste de professeur de piano au conservatoire, j'ai décidé de me réinventer. Je ne me sentais pas ancré dans le monde immatériel, évanescent, du piano, et je ressentais ce besoin d'utiliser mes bras autrement. De plus, j'avais des aspirations à l'autonomie politique. En 2012, je suis parti à New York car ma femme est américaine. J'ai travaillé chez Blue Bottle, dans la production de café. Je faisais 1000 à 2000 litres par semaine de café glacé. Nous faisions macérer, nous mélangions différents cafés, avec de la chicorée. Nous pratiquions le « cupping », c'est-à-dire une dégustation similaire à celle du vin, mais appliquée au café. Là, j'ai rencontré des personnes qui travaillaient chez Uva, une cave à vin nature de Brooklyn, et je leur échangeais du café contre du vin. Ils m'ont parlé d'avocats canadiens qui souhaitaient investir dans l'ouverture d'une cave près du Flatiron Building, dans un quartier en développement (il n'y avait pas encore Eataly ), et qui cherchaient leur équipe pour démarrer. À Paris, je connaissais Le Baratin, Le Verre Volé, le milieu du vin nature parisien, les noms des vignerons, mais assez superficiellement. Je les ai rencontrés et je leur ai proposé de mêler le grand vin français et les grands crus avec du vin nature punk et alternatif, en opérant une sélection dans chaque domaine, car habituellement les caves proposaient l'un ou l'autre. Je voulais revenir à l'artisanat, à travers les petits vignerons orientés vers le naturel, ainsi que les grands crus. J'ai suivi une formation de six mois en vin, nous avons acheté pour deux millions de vin, et j'ai effectué l'ouverture avec eux. La mise en place, la dégustation des vins, le choix, c'était génial. Ensuite, cela est devenu plus routinier, et très vite, j'ai ressenti le désir d'aller voir comment le vin était fabriqué, l'envie d'en faire. Donc, je suis parti en Bourgogne, dans les grands crus
Comment s'est déroulé ton expérience en Bourgogne ?
Je suis arrivé en couple, venant d'avoir un enfant, ce qui a ajouté du piment à l'expérience. Je me suis formé au lycée de Beaune en viticulture et œnologie, et à mi-temps chez Mugnier. J'ai appris à tailler la vigne, à reconnaître les maladies, à conduire un tracteur, etc. Mugnier est un scientifique, mais il est passionné par les idées de Fukuoka (La révolution d’un seul brin de paille) et prône le non-interventionnisme au maximum. Il travaille sur des techniques de mise en place profonde, ce qui est assez inspirant. Cependant, son rapport économique avec le vin le contraint à ne pas prendre de risques et à utiliser du soufre. J'ai passé trois ans à ses côtés avant de retourner à Paris.
Pourquoi es-tu retourné à Paris après cette expérience ?
C'est là que j'ai grandi. De plus, avec ma femme, qui est d'origine asiatique, nous avons décidé de vivre dans une ville où le mélange et le brassage culturel sont présents. Elle ne voulait plus faire face au racisme quotidien qu'elle a connu en Bourgogne. Nous avons cherché un endroit où les gens comprennent que l'on peut avoir une autre couleur de peau, une autre apparence, vivre différemment, et où il n'y a pas de problème à cela, où l'on peut coexister harmonieusement. Montreuil est l'un des endroits où l'on peut un peu échapper à ces questions. Nous nous y sommes donc installés. Au début, je vendais du vin dans des caves parisiennes, mais cela ne correspondait pas vraiment à mes aspirations. C'est là que j'ai rencontré les deux fondateurs de Michto Vino, qui avaient décidé de produire du vin à Montreuil. Je n'avais jamais envisagé l'idée de continuer à vinifier en ville, mais lorsque j'ai vu ce qu'ils faisaient, j'ai ressenti un appel fort et je me suis associé à eux pour développer leur structure.
Quel est, selon toi, l'intérêt des chais urbains ?
Pour moi, l'intérêt principal réside justement dans la possibilité de produire du vin en milieu urbain. C'est là toute sa valeur ajoutée. Même d'un point de vue écologique, cela ne représente pas nécessairement une amélioration significative. Lors de nos rencontres avec d'autres chais urbains, la première question qui revient toujours est : "Est-ce que tu en vis ou non ?" En réalité, 80 % d'entre eux ne parviennent pas à en vivre. Les quelques-uns qui réussissent à rentabiliser leur activité le font en la complétant par une autre source de revenus, comme l'exportation, l'ouverture d'un bar, l'organisation d'événements, etc. Ce que j'apprécie dans les chais urbains, c'est qu'ils transposent un métier traditionnellement rural dans le tissu urbain, ce qui confère à l'ensemble une dimension presque surréaliste, tout en conservant un aspect artisanal. Je trouve cela également très poétique de perpétuer des gestes millénaires. J'apprécie également le fait que les gens puissent visiter le chai, même ceux qui ne se rendent jamais dans les domaines viticoles, et ainsi découvrir comment le vin est produit, tout près de chez eux.
D'où provient le raisin que vous utilisez ?
Chaque cuve contient du raisin provenant d'un endroit différent : d'Alsace, des Pays de la Loire, etc., pour l'instant, nous sommes restés dans la moitié Nord de la France. Nous en achetons de petites quantités à des vignerons, et nous les payons à un prix assez élevé pour que ceux qui travaillent dans les vignes puissent en vivre.
Comment sélectionnez-vous ces vignerons ?
Cela se fait par le biais de rencontres, d'amitiés. Il arrive que des vignerons disposent d'une tonne de raisin à partager, ce qui mène à une collaboration.
Le chai urbain est donc le seul endroit où l'on vinifie des raisins provenant de terroirs très différents...
Oui, j'ai eu l'occasion d'expérimenter avec des cépages que je ne connaissais pas. En approchant certains cépages, j'ai également compris les méthodes traditionnelles. Au début, j'envisageais d'utiliser la méthode bourguignonne partout, car elle produit de bons vins, avec une trempette 100% égrappée et une macération un peu longue. Cependant, j'ai réalisé que cela ne fonctionnait pas aussi bien avec certains cépages. Il est essentiel d'apprendre à connaître les différents cépages, les options de vinification, les niveaux de maturité du raisin, etc.
Peut-on développer une identité avec des terroirs différents ?
C’est très difficile à dire. Le goût est largement influencé par celui qui cultive la vigne, à hauteur de 90 %. Nous apposons leurs noms sur les bouteilles pour leur rendre hommage, car ce sont eux qui accomplissent le travail. Lorsque vous avez de beaux raisins qui évoluent comme ils le devraient, vous n'avez généralement pas grand-chose à faire, si ce n'est décider du moment où intervenir. Bien que je lise beaucoup de contenus scientifiques sur les processus en cuve, j'adopte une approche non interventionniste.
Quel type de vin as-tu envie de produire ? Qu'est-ce qui te motive ?
Ce qui m’amuse le plus, c'est de travailler avec de petites quantités et d'explorer les différentes méthodes d'élevage. J'aimerais diversifier les types d'élevage, en utilisant des fûts de différentes natures, des contenants en grès, en terre cuite, etc., plutôt que de se limiter au bois ou à l'inox. Je souhaite également approfondir mes recherches sur les oxydations et comprendre comment continuer à produire sans intrants tout en restant fidèle au terroir. Mon objectif est de révéler au maximum ce que le raisin peut offrir en termes de goût et de possibilités, de lui restituer toute sa potentialité.
Est-ce que ta vision du vin nature a changé depuis que tu en fais ?
Absolument ! En me confrontant aux défis de la production de vin nature, j'ai compris pourquoi certains vignerons choisissaient de ne pas s'y aventurer. Produire un vin zéro-zéro représente un véritable risque ; le vin peut prendre une direction inattendue, et ce risque est entièrement assumé par le producteur. Il faut avoir une confiance totale dans le processus, laisser faire et observer les résultats. Dans certains cas, j'ai dû ajouter un peu de soufre par obligation. Lorsque je propose à une cave mes cuvées zéro-zéro, un peu plus chères que les autres, celles pour lesquelles nous avons pris de gros risques, les cavistes ont souvent tendance à préférer celles qui contiennent un tout petit peu de soufre et qui sont moins chères. Je trouve qu'ils minimisent beaucoup le risque pris pour produire du zéro-zéro en général. Parfois, un vin est qualifié de naturel alors qu'il contient encore jusqu'à 20 milligrammes de soufre. Les gens utilisent le terme "naturel" pour désigner une grande variété de vins. Aujourd'hui, je déguste le vin d'une manière différente. J’ai quitté mon piédestal d’acheteur américain qui décide juste en mettant le nez dedans. Lorsque je déguste un vin, j'essaie de comprendre le processus derrière sa production, les idées qui l'ont animé, et je me demande si mes codes m’empêchent de l’aimer ou si c’est gustatif. J’aime des zones plus aux frontières du goût.
Tu es devenu plus nature, quoi !
Oui, je viens des grands crus et je buvais des bouteilles que je ne pouvais pas m'acheter. Mais aujourd'hui, je ne consomme que du vin nature.
Qu'est-ce qu'un bon vin pour toi ?
Pour moi, c'est la fusion entre un savoir-faire et une éthique dans la façon dont on aborde la production alimentaire, un équilibre entre nature et artificialité. C'est avoir de bons raisins, non traités, travaillés de manière intelligente. C'est aussi une vinification discrète, qui sublime le travail accompli avant toi, qui prend le relais.
Quelle est la prochaine étape pour vous ?
Faire du pet’ nat’, produire plus de bouteilles, devenir viable économiquement !
As-tu un souvenir gustatif marquant récent ?
Récemment, c'était dans un petit restaurant à Belleville, inspiré du sud de l'Asie, appelé Ama Siam. J'y ai dégusté un poulet poché accompagné de riz cuit avec du gingembre, servi avec le bouillon à part. C'est le plat de base au Vietnam, lorsque l'on est malade. Comme j'ai vécu un an là-bas, cela m'a rappelé de forts souvenirs gustatifs. C’était très bien fait, simple et très beau. Il y avait les herbes qu’il faut, cela tombait pile.
Une odeur marquante ?
L'odeur de mon vin en ce moment, car nous commençons les tournées. Je suis très attentif au parfum qu'il dégage lorsque je l'ouvre devant des cavistes et des restaurateurs, je m'habitue aux dernières cuvées.
Un son ?
Je fais également de la musique classique, et nous avons enregistré L'Art de la fugue, quasiment la dernière œuvre de Bach, qui est presque la seule qui n'ait pas été commandée, ce qui lui confère une saveur particulière. Je suis en train de monter ça en ce moment, donc j'ai le son des entrées de fugues en permanence, même lorsque je dors.
Une image ?
J'ai beaucoup apprécié les détournements des publicités pour les Jeux olympiques. Ce sont de petites affiches qu'ils ont collées partout le 1er mai et que j'ai trouvé très amusantes et réussies.
Un toucher ?
Dans le travail, c'est le toucher des fonds de cuve, des lies. C'est visqueux et granuleux à la fois. Il y a également tout le tartrique qui est tombé dedans, donc c'est cassant. C'est une texture assez extraordinaire. C'est ce que nous utilisons pour soigner les autres cuves qui ont besoin d'être assistées, car cela contient tout ce qu'il y a de bon dans l'histoire du vin. Nous utilisons beaucoup cela à la cuverie.
Un.e chef.fe ?
J'ai un coup de cœur pour Le Pinceau. C'est un petit restaurant tenu par un couple qui vient d'avoir un enfant. Ils jouent le jeu, choisissent les vins qu’il faut boire avec les plats, et encouragent les choix radicaux. Je ne peux que les recommander.
Un commerce de quartier ?
Il y a une petite épicerie à côté de chez moi, Bocal Génial, qui ne fait que du vrac, qui travaille très bien. La gérante est très transparente sur ses achats, ses marges.
Un.e vigneron.ne ?
Parce que je viens de le croiser, François Ecot, dans l’Yonne qui nous a beaucoup aidés et conseillés. Il adore aussi le piano donc on a deux passions communes. Il a des vignes, il est débrouillard, ne s’arrête jamais. Un poète. Une bombe atomique.
Peux-tu nous parler d'une bouteille de Michto Vino ?
Pour la première fois on a fait un assemblage. On s’est amusés à mélanger du pinot d’Alsace, avec du grolleau et du gamay d’Anjou. Nous voulions briser certains codes. L’idée était d’avoir une bouteille pas trop chère. Il a été mis en bouteille il y a trois semaines, et comme un jeune vin il est un peu fou fou.
Peux-tu partager quelques adresses où trouver le vin de Michto Vino ?
Oui voici quelques cave : Delicatessen, La Cave de Belleville, L'Amitié Rit, La Cave des Collines, Rockbottles, et quelques restaurants : Le Pinceau, Coinstot Vino, Ake, Giclette, L'ébauchoir, La Requinque.
Merci Marc !
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