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Le chef de la Table de Colette, dans le 5ème arrondissement de Paris, Josselin Marie, a fait de l’écologie son cheval de bataille. Après deux lycées hôteliers, il côtoie les étoilés en travaillant successivement avec Jacques Chibois, Marc Meneau, Joël Robuchon, Jerôme Pido, ou encore Alain Ducasse puis prend ses premières places de chef en brasserie (chez Vins et Marais, et au restaurant Devez, puis chez Francis place de l’Alma). Il passe sept ans à l'hôtel de Vendôme comme chef de cuisine avant que le groupe Chopard qui le détient ne décide de fermer le restaurant et de licencier tout le monde. Il en profite pour ouvrir La table de Colette.
Bonjour Josselin, d’où est venue ton envie de fonder un restaurant éco-responsable ?
Il y a neuf ans je suis devenu papa. J’ai commencé à me poser la question de ce que j’allais laisser derrière moi. Deux documentaires m'ont marqué : Une vérité qui dérange d'Al Gore et Demain de Cyril Dion et Mélanie Laurent. J’ai pris conscience que la nourriture humaine était en partie responsable du dérèglement climatique. Je me suis demandé en tant que Chef ce que je pouvais faire pour changer un peu les choses. Et puis, comme je suis Breton et têtu j'ai commencé à m'instruire, chercher des informations. J’ai rencontré Jean-Luc de l'association Bon pour le climat qui m'a présenté l’éco-calculateur, et j'ai pris conscience que la carte qu'on avait à l'époque à l'hôtel de Vendôme était très carnée, on servait de la côte de veau, du bœuf, des langoustines… Ça m'a mis une vraie claque dans la tête. J’en ai parlé à la direction qui m'a totalement rejeté en me disant qu’on ne faisait pas venir les gens dans un restaurant parce qu’il était éco-responsable mais parce qu’il était bon, que c’était n’importe quoi. Quand on me dit non, je n'ai qu'une envie, c'est de le faire. J'ai monté La Table de Colette pour les faire mentir. Ce que j'ai plutôt bien réussi, parce qu'il semblerait que mon restaurant marche plutôt.
Quel rôle ont à jouer les restaurants dans la transformation sociale, selon toi ?
Près d'un tiers du dérèglement climatique est lié à notre alimentation. Ce sont des chiffres scientifiques. Quand on prend les émissions de gaz à effet de serre totales d'un restaurant, 80% viennent de l’assiette et 10% des vins vendus. Puis tout le reste, transport des marchandises, des clients, du personnel, l’énergie pour cuire, cuisiner etc sont les 10% restant. Donc, le plus important, c'est de végétaliser l'assiette. C'est ce qu'on n'arrête pas de marteler. Après, finalement, c’est donner des idées de recettes. Transmettre des fiches techniques pour expliquer comment on peut faire manger des légumes aux gens sans qu'ils aient l'impression d'être frustrés et d’avoir mal mangé. Ça serait utile d’aider les restaurateurs à trouver des idées pour une cuisine plus végétale. Quand j'étais chef en brasserie, la création de la nouvelle carte ne prenait que quelques heures. Je pense que si on arrivait à leur donner des idées faciles à mettre en place et qui plaisent aux clients, on aurait quand même gagné pas mal de poids carbone. Et grâce à tout ça tu dépenses plus d'argent dans le personnel et moins dans les achats de matières premières, parce que tout le monde sait que les légumes valent moins cher que la viande et le poisson.
Comment est reçue ta cuisine ?
Comme avec tout changement on se confronte à peu près à trois styles de personnalité : ceux qui ont envie de changer et qui t’aident, ceux qui ne savent pas trop mais qu'il faut convaincre (et qui représentent la grosse masse) puis ceux qui sont vraiment contre. Malheureusement on en a même chez nos clients. Encore hier soir on a eu des gens qui nous ont traités comme si on était des écolos qui ne comprenaient rien à la vie et qui les empêchaient de vivre normalement en se rendant compte que c'était beaucoup de légumes. C'est difficile d'encaisser cette colère, qui vient de la peur que l’idée du dérèglement climatique génère chez eux. Ils préfèrent penser que ça n’existe pas et que tous ceux qui y croient sont des gros cons.
Pourquoi t’ancrer à Paris ?
C'est plus facile de faire de l'écologie à la campagne parce que tu as les fournisseurs qui sont à côté, plus de place pour faire du compost et c'est beaucoup moins contraignant si on veut installer une éolienne, un panneau photovoltaïque ou des choses comme ça… Mais j’ai voulu répondre spécifiquement à la problématique de l'écologie en milieu urbain en m'installant au centre de Paris.
Penses-tu que le rôle de Chef a changé ?
Pendant toutes nos premières années de travail, on a inculqué à ma génération qu'il fallait mettre de côté notre vie personnelle et ne faire que travailler. Je pense que les générations d'après ont une meilleure approche. Elles ont compris qu'il faut un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. On ne peut plus demander à quelqu'un de faire seize ou dix-sept heures par jour pour un salaire médiocre, de vivre dans des conditions horribles juste parce que c'est comme ça que ça s'est toujours passé. Pour moi, les restaurants qui vont péricliter, ce sont ceux qui sont là juste pour faire de l'argent et qui traitent les gens comme de la merde. Tu ne peux pas changer tout le temps de personnel et garder la qualité, alors leurs clients ne viennent plus. Les restaurants qui s'occupent du côté social et environnemental ont beaucoup plus d’avenir, parce que leur personnel est plus facile à recruter et à garder. Ça motive de faire quelque chose pour la société.
Merci Josselin !
Entretien par Aranza Garcia.
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