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Jean-Claude Ribaut, critique gastronomique et architecte de formation, a l’art d’appréhender la gastronomie selon ses palimpsestes, son histoire, depuis plus de quarante ans. Né à Valence pendant la seconde guerre mondiale, où son père évadé des prisons allemandes ravitaillait le maquis de nuit en camionnette, il habite ensuite Marseille, où il fait une partie de ses études, court les sites archéologiques grecs et romains alentour, avant de monter à Paris. Les déjeuners dominicaux préparés par sa mère sont un moment rituel qui met la cuisine au centre de sa vie dès le plus jeune âge. Dès la fin des années 70, il écrit sur la gastronomie. Nous sommes allés lui poser quelques questions.
Bonjour Jean-Claude. Comment es-tu devenu critique gastronomique ?
Après mon diplôme en 68 et des études d’Histoire à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, j’écrivais épisodiquement dans le journal Combat (fondé par Camus), sur l’histoire de l’Art, l’architecture, l’archéologie. Puis je suis devenu communicant pour l’un des syndicats puis l’Ordre des architectes. En raison de cette activité de lobbyiste, une somme forfaitaire m’était allouée pour approcher différents leaders d’opinion à l’occasion de la préparation de la loi sur l’architecture en 1977. C’est là que j’ai découvert de nombreux restaurants à Paris et suis devenu habitué des bonnes tables. J’ai créé le magazine « d’Architectures » et dirigé, jusqu’en 1996, la première Maison de l’Architecture. J’étais connu comme le loup blanc...on m’a proposé une chronique gastronomique dans le Moniteur des Travaux publics (le magazine qui publiait les annonces de marché du bâtiment, lu par toute la profession). Je signais du pseudo Acratos (« celui qui ne met pas d’eau dans son vin »), ma chronique était très suivie et ma réputation s’est établie. J’ai suivi avec intérêt la Nouvelle Cuisine, j’étais proche de Jacques Manière et Michel Guérard par exemple. Puis je suis devenu critique gastronomique au Monde en 1989 jusqu’en 2012.
Qu’est ce que le rôle de critique pour toi ?
C’est de dire, « j’y suis allé, j’y suis passé, vous pouvez y aller, et vous pouvez même y prendre du plaisir ! » J’ai le plus souvent répugné à partager mes aigreurs d’estomac !
Ton souvenir gustatif lointain le plus marquant ?
L’un des premiers souvenirs de gourmandise de mon enfance est les champignons que nous allions ramasser en famille. Notamment une préparation de girolles avec une sauce poulette. Mais mon souvenir le plus marquant, lors de mes études, a été lors d’un stage d’été sur un chantier de fouilles, où je suis invité pour la première fois dans un grand restaurant, à Baumanière. J’y ai goûté un feuilleté de ris de veau au vin jaune et aux morilles, absolument fabuleux, exceptionnel, éblouissant qui m’a plongé dans l’état de Stendhal, sortant de Santa Croce, l’évanouissement de bonheur. Quel truc, bordel !
Un grand plat qui te revient à l’esprit ?
Quelques uns chez Jacques Manière au Pactole, par exemple une omelette Roger Bedaine, un nom de circonstance, sans doute inventé. Une omelette dont la recette n’est pas tout à fait établie, encore que je l’ai retrouvée dans le Larousse Gastronomique de 1938 un peu édulcorée. Omelette accompagnée d’une bisque de homard, de tronçons de homard, et de truffes, un peu de foie gras, et même de caviar. Un délire intégral. Le lièvre à la royale de Alain Senderens aussi, chez Lucas Carton reste le plus extraordinaire que j’ai goûté.
Ça représente quoi pour toi manger, aujourd’hui, après quarante ans de pratique ?
Il est évident que c’est un peu moins surprenant qu’à une époque, peut être même un peu addictif. Mais dans le fond pourquoi réduire, je n’ai pas une vision diététique de l’existence. J’ai été frappé par le mot d’ Edouard Herriot : « il y a beaucoup de restaurants où l’on déjeune, mais très peu où l’on dine ». Pour un lyonnais c’est au déjeuner que l’on fait bombance, le soir est plus subtil, plus raffiné.
Qui t’a initié à la cuisine ?
Jacques Manière, pendant mes études d’architecture m’a pris en amitié, et m’a formé au goût et à la cuisine. Il m’a fait goûter beaucoup de choses, et surtout initié à la préparation des sauces. Puis j’ai pris conscience de la fonction de cuisinier quand j’ai eu des entretiens approfondis avec Jean-Marie Amat, cuisinier à Bouliac dans le restaurant extravagant de Jean Nouvel. J’ai compris que la cuisine était une série de gestes modelés par la sensibilité, l’intelligence, et la pensée d’un cuisinier. Cela implique un minimum d’intelligence du produit. La cuisine n’est pas l’application par coeur de recettes. Cette initiation m’a permis en 2004, d’inviter chez moi, pour inaugurer mon « piano Morice 3 feux » Guy Savoy, Michel Rostang, Jean-Pierre Vigato, Alain Dutournier, au total 11 étoiles Michelin) pour déguster une « Tête de veau, sauce tortue » que m’avait appris Manière.
Qu’est ce qui a changé selon toi aujourd’hui? Quel constat fais tu ?
Il est plus facile pour des jeunes aujourd’hui de s’installer, grâce à la clientèle qui s’est formée autour de la cuisine instagrammable, que l’on photographie et qui se diffuse pratiquement seule, sans attaché de presse, cela a un aspect positif. D’autre part les émissions comme Top chef qui vulgarisent le métier peuvent réveiller des tempéraments, décoincer, ce qui est bien, mais il ne faut pas que cela se fasse au détriment de ce qui est absolument indispensable : la transmission auprès des anciens. Il n y a pas de cuisine de haut niveau sans cela. Il faut tenir compte de l’expérience et la connaître, même pour l’actualiser.
Qu’est ce qui reste le plus important pour toi ?
Essayer de préserver l’accès à un nombre suffisant de produits sains et de qualité. Je crains qu’il disparaissent sous l’avalanche des produits chimiques, ou de la chimie tout court. Je suis méfiant à l’égard de l’emprise de l’industrie agro-alimentaire avec les produits transformés des mastodontes et leur bras séculier qui est la grande distribution. Il y a un abaissement de la qualité de la nourriture, une uniformisation.
Qu’est ce qui reste à faire qui n’aurait pas été encore fait ?
Il n’y a toujours pas de sensibilisation à la cuisine dans l’Education nationale. On parle des cinq fruits et légumes quotidiens mais cela reste des tous petits phénomènes. Il y a peu de progrès dans ce domaine, surtout quand on voit la multiplication des usines à manger et l’anglicisation invraisemblable du vocabulaire culinaire. Il faudrait également revoir le programme d’enseignement des lycées et écoles hôtelières. Il faudrait que tous les apprentis cuisiniers puissent goûter et connaitre la grande cuisine. Il faut pouvoir les faire rêver. Pourquoi quelqu’un qui fait profession de faire à manger pour d’autres n’a pas lui même accès à la grande cuisine ? Comme si on enseignait la littérature en disant : « les grands auteurs ne sont pas pour vous… ! »
Un restaurant singulier à tes yeux ?
Lasserre, avenue Franklin Roosevelt, auquel j’ai consacré un livre. Restaurant conçu en 1945 par un architecte qui s’est inspiré, j’en suis convaincu, d’un salon littéraire du XIX ème siècle tenu par la Princesse Mathilde, nièce de Napoléon jusque dans les années 1860, et qui était un salon autour d’un patio avec un toit-ouvrant. Le restaurant a eu trois étoiles Michelin jusque dans les années 80 avec René Lasserre à sa tête. Andre Malraux y avait ses habitudes au moins trois fois par semaines. On y croisait également Dali, Louise de Vilmorin…
Un restaurant de quartier ?
Le Bistrot Paul Bert, un endroit où je me sens à l’aise, une cuisine que l’on dit ménagère, en mieux.
Un commerce de quartier ?
Un jeune charcutier – Chez Antoine – du marché Henri Barbusse à Levallois-Perret où j’habite depuis deux ans.
Un.e producteur.ice dont tu voudrais nous parler ?
Harald, « Un cheval un champ » maraîcher à Puy-Notre-Dame (49260, près de Montreuil Bellay) qui livre chaque semaine des restaurants parisiens et des paniers à des clients privés (dont je suis).
Un.e chef.fe émergent.e qui t’inspire ?
Amandine Chaignot (Restaurant Pouliche) dont j’ai découvert la ténacité à l’Hôtel Raphael, alors qu’elle venait d’interrompre ses études de pharmacie !
Une actualité que tu voudrais partager ?
Une parution le 6 octobre du n° 97 d’un Spécial Gastronomie du Magazine L’Histoire (9,90 €), auquel j’ai collaboré.
Y’a t-il quelque chose que tu souhaiterais ajouter ?
Mon bouquin « Voyage d’un Gourmet à Paris » (Calmann-Levy. 2014) qui a reçu le Prix Jean Carmet 2015 est toujours disponible.
Il a été chroniqué par Bernard Pivot : https://www.lejdd.fr/Chroniques/Bernard-Pivot/L-estomac-a-la-litterature-la-chronique-de-Bernard-Pivot-703512
Découvrir la recette de Jean-Claude Ribaut.
Merci Jean-Claude !
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