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Fine Gueule

Etienne Legrand

Etienne Legrand est un des associés des iconiques Café du Coin, Recoin, Jones et L’Orillon, des cafés de quartier (hormis Jones qui est une table). Il est en charge notamment de la salle et du sourcing du vin.

Salut Etienne, comment décrirais-tu vos lieux ?


Ce sont des lieux de vie qui vivent au rythme de la journée, inclusifs, où tout le monde est bienvenu. Des lieux populaires et accessibles, car c’est un combat très important pour nous. D’un côté il y a des valeurs de générosité, de solidarité, de bien-être, de fêtes et de l’autre une culture de la gastronomie, avec une recherche de produits de qualité, respectueux du monde, du vivant et de la nature. Ce qui me plait c’est de créer des endroits où les gens, les habitués font la vie du lieu. On est comme un passeur mais ça leur appartient, ils se l’approprient.

Comment tout cela a t-il commencé ?


Quand j’avais vingt ans, je travaillais comme sauveteur en mer, l’été, pendant mes études de sport dans le Sud-Ouest. J’ai saisi l’opportunité d'une petite cabane qui se libérait, pour y vendre des jus de fruits frais. J’ai beaucoup aimé le contact avec les gens. Après cette expérience, j’ai travaillé dans un bar du vingtième arrondissement de Paris, Les Pères Populaires, à Buzenval. Tout est parti de là. Je suis rentré dans une équipe, je me suis fait les amis avec qui je fais ce que je fais aujourd’hui. C’était une ambiance particulière, de salle, d’équipe. J’ai adoré ça. C’est un peu comme au théâtre : tu fais le spectacle, t’es comme un machiniste, un éclairagiste, tu regardes les spectateurs qui voient la scène mais tu restes en dehors, tu observes. Je réfléchis beaucoup à tout cela, c’est hyper intéressant. On influence l’ambiance avec les produits. On s’exprime à travers le vin, la cuisine.


Quand as-tu découvert la gastronomie et le vin naturel ?


Greg, le propriétaire des Pères Pop avait aussi le restaurant La Vierge de la Réunion et j’ai suivi l’ouverture avec une équipe hyper pointue en cuisine, Elsa Marie et Julian May, passionnés, et il fallait que ça suive en salle. J’ai beaucoup appris avec eux et avec le sommelier de Jones, Damien, qui faisait la carte des vins de La Vierge. Ensuite, j’ai appris avec d’autres collègues restaurateurs et des vignerons, en autodidacte.


Comment s’est passé l’ouverture de votre premier café ?


Avec mon collègue et ami Jules, on a rejoint Florent Ciccioli qu’on avait rencontré aussi aux Pères Pop, et qui venait d’ouvrir le Café du Coin. On s’est tous associés, Florent avait beaucoup d’expérience, une envie précise concernant le lieu, à laquelle on adhérait complètement, il était chef, et nous nous sommes mis à incarner la salle. Ce n’était pas évident car avant le restaurant il n’y avait rien, c’était une ancienne salle de concert puis une boulangerie…


Comment on incarne la salle alors ?


Il y a des vraies valeurs dans l’accueil, c’est un métier. Cela passe beaucoup par la présence. Il faut être à la bonne place, en se situant ni trop proche ni trop distant. Il faut sentir ce que les gens veulent en permanence. On cherche à mettre du rythme, à sentir quand les clients ont besoin de quelque chose, quand il faut resservir un verre, quand il faut débarrasser, mais en même temps en étant détendus. On est nous-mêmes, sans uniforme. On fait des bouteilles et des assiettes de grande qualité dans une atmosphère de café de quartier et on essaie de retranscrire ça dans le service. On est interventionniste dans notre façon de faire les choses, de décider de ne pas prendre de réservation le soir, de choisir un type de musique etc. Mais le plus important est que tout le monde se sente bien, je prends beaucoup de plaisir quand les clients oublient qu’ils sont en train de manger et de boire. On fait la même chose tous les jours, le cérémonial, le service, et pourtant c’est toujours différent. Je fais ça depuis dix ans et je ne m’ennuie jamais.

Quels sont les enjeux pour vous ?

Il y a énormément d’adrénaline, c’est hyper stressant. Les clients sont exigeants. Ils ne viennent pas par hasard et s’attendent à ce que ça soit bon, cela peut être un peu dur parfois, d’avoir peur de se faire enguirlander. On essaie d’être compétents sur chaque corps de métier dans la salle aujourd’hui. De servir un vrai bon café, fait par un barista, aussi bon que dans un coffee shop, avec une vraie mousse de lait (avec le café torréfié par Ten Belles). On a un sommelier, un mixologue aussi, ça change tout. On essaie de faire tout, parfois c’est beaucoup, mais ça fonctionne quand même.

Tu peux nous parler un peu plus de ton attachement aux cafés populaires ?  

J’ai grandi dans le 20e arrondissement et j’ai trainé dans les bistrots du quartier. Le côté vraiment populaire m’a toujours énormément tenu à coeur. Cela ne se voit pas forcément parce qu’on a des vins qui sont chers et qui sont durs à mettre à des prix bas. Mais on a envie de tenir des prix pas chers, on réduit nos marges à fond, le demi de bière à L’Orillon est à 2,90 euros pour une bière brassée en Ile-de-France avec des produits locaux et bios. On veut garder cette âme populaire. Pour le menu du midi on est à 22 euros. L’esthétique des lieux est aussi très importante pour moi, j’aime les détails classiques comme les oeufs durs sur le comptoir, les journaux. J’aime voir le lieu qui change tout au long de la journée : les cafés pris au comptoir le matin par les gens qui vont travailler, ceux qui trainent, ceux qui déjeunent le midi, pressés avant de retourner au travail, puis les sorties d’école, avant de terminer par la soirée et les moments plus festifs. On est ouverts sept jours sur sept pour être un phare dans la nuit. On ne veut pas que les gens se posent la question, c’est tout le temps ouvert : « T’inquiète, tu peux venir, boire un café, un verre, on est là pour ça ! ».

Comment on tient ce rythme ?

Il faut vraiment aimer ça. Moi c’est une immense passion. J’ai presque du mal à avoir une vie constructive extérieure, à m’extirper du lieu. Le rythme est dur mais je suis super heureux d’accueillir les gens, j’adore faire un café, servir un verre de vin.

Par rapport à vos débuts, qu’est ce qui a changé aujourd’hui ?

Avec le temps ma carte des vins a évolué, elle est plus pointue. Mes rapports sont plus solides et profonds avec les vignerons. Je passe beaucoup de temps dans les vignes. Je fais du vin depuis deux ans dans la vallée du Loir où on a acheté un petit pressoir et une cuve, avec ma copine Adèle. Avec sa famille on a lancé « Jour de Fête » dans la Sarthe (on a eu un prix Fooding l’année dernière). C’est un schéma très proche du produit : une ancienne boulangerie de village réhabilitée en restaurant, on fait encore du pain dans le four, la soeur d’Adèle a un jardin maraîcher qui alimente le restaurant. C’est très autonome, très local. Un vrai café de village dans une commune de 300 habitants.

Tu peux nous parler un peu de votre rapport aux produits ?

C’est une aventure humaine avec les clients, les équipes, les producteurs, tout ça. On a des rapports particuliers avec les fournisseurs, dans le vin et dans l’assiette, du pain jusqu’au café, en passant par la côte de cochon. Sur le sourcing du vin, qui est ma partie, je marche énormément au feeling. Ce que j’aime, ce que j’ai envie de boire. Quand j’ai goûté du vin naturel pour la première fois il y a douze ans, je me suis dit que c’était incroyable. J’ai beaucoup découvert ça à La Buvette, rue Saint Maur, c’était tellement bon. L’intelligence du vigneron qui réagit humainement, avec sa tête, aux contraintes naturelles, à la façon dont ce milieu, parfois hyper violent, fait ce qu’il veut, me fascine. Et ça produit des vins toujours différents, toujours frais, sur le fruit.

Comment tu choisis tes équipes pour la salle ?

Je ne choisis que des gens qui sont capables de comprendre ce qu’on fait, de comprendre que chaque vigneron proposé est important, chaque assiette posée sur la table importante. Il faut qu’ils aiment accueillir, aiment être là, qu’ils soient sympas, c’est le plus important.

Et un.e chef.fe ?

C’est pas facile. Au Café du Coin par exemple Hugo avait une seconde qu’il a formée et qui aujourd’hui est la cheffe. On forme pas mal en interne, on arrive bien à garder les équipes, sur le long terme, cela nous correspond. On laisse carte blanche au chef. Quand on arrive aux postes de grande responsabilité comme chef ou sommelier, on laisse les gens s’exprimer. On a des endroits hyper collectifs. C’est notre style.

La prochaine étape ?


Peut-être un jour quitter Paris, me rapprocher du vin, mais ce n’est pas facile de quitter le comptoir…

Le mois dernier, un souvenir gustatif marquant ?

Le week-end dernier je suis allé au Doyenné, un des meilleurs moments gastronomiques de ma vie ! C’est incroyable comme le chef, James, arrive à faire des choses très simples mais tellement délicieuses. Chaque ingrédient, tu te dis que la seule façon de le manger c’est comme il l’a cuisiné. C’est très bien assaisonné, juste. Le service en salle était super aussi. Il n’y a pas la gêne que l’on peut ressentir dans certains restaurants gastronomiques, c’est tranquille, il y a avait la bonne distance.


Une odeur ?


Celle de la fermentation, ou de la réduction du vin, quand ça sent un peu la ferme. Mon vin est beaucoup comme ça, il a besoin de s’ouvrir.


Un son ?


Le moulin de la machine à café. Superbe.


Une image ?


Je me suis promené dans la Manche il y a peu, à la pointe d’Agon Coutainville, tout au bout, il y a un petit phare, avec la mer, très beau.


Un toucher ?


Dans le service on a toujours les mains à vif entre les verres chauds qui sortent du lave-verre et les glaçons froids de la machine à glaçons…


Un chef ?


Le chef de L’Orillon, Hugo Giudicelli, qui m’émerveille depuis trois ans, tous les jours, sans faute. Pour son originalité, sa créativité, ses assemblages, ses visuels.


Un commerce de quartier ?


À Romainville, la petite épicerie Dangla, bien sourcée, mignonne.


Un.e vigneron.ne ?


Philippe Maffre à Gaillac, Bois Moisset. Il fait de l’élevage, du maraîchage, il a des vignes, c’est une ferme globale. Il milite pour un vin accessible, il fait les vins les moins chers qui existent aujourd’hui. C’est un anarchiste. Je l’adore. On va faire une mise en bouteille ensemble, un assemblage de trois, quatre cuves, selon nos goûts, pour L’Orillon.


Une actualité ?


On va participer au festival musico-culinaire d’Alexandre Cammas, Bon esprit de clocher les 18 et 19 Mai, à Cassuéjouls.


Merci Etienne !

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