L'app du bien manger et du gaiement boire !

Fine Gueule

Agnès Baracco

Bonjour Agnès, pourrais-tu nous parler un peu de ton lien au vin ?

Je suis née dedans. Du côté paternel, mes cousins sont vignerons vers Givry depuis cinq ou six générations. Adolescente, je faisais les vendanges tous les ans. Côté maternel, mon grand-père, qui venait du Jura, a installé son activité d’éleveur de vin (il achetait les jus et les élevait) en 1945, dans le petit village de Sennecey-le-Grand en Saône-et-Loire, avec ma grand-mère, qui tenait la cave à vins. Ma mère y a aussi travaillé, et tous les étés j’allais la remplacer. Seuls mes oncles goûtaient le vin à la maison, et vers dix-sept ans je me suis rebellée. J’ai dit à mon grand-père que j’étais l’ainée des petits-enfants et que je voulais goûter aussi. À partir de là il m'a toujours fait goûter donc j’ai commencé assez tôt. Mais déjà avant de pouvoir le faire, j’écoutais tout ce qu’il disait sur les cépages et autre, et je mettais mon nez sur les vins. Grâce à cela mon nez est très développé.

Quel a été ton parcours ?

J’aimais beaucoup l’école, j’y étais bien. Je suis très curieuse, depuis toujours, tout m’intéresse. Mes grands-parents qui n'en avaient pas fait voulaient que je fasse des études. Donc j’ai fait des études de droit immobilier. C’est à ma première fête de fac à Besançon que j’ai goûté du vin conventionnel pour la première fois. J’ai trouvé ça imbuvable, pour moi ce n’était pas du vin, cela n’avait pas d’intérêt. J’ai arrêté de boire du vin à cette époque, je préférais une bière. J’ai terminé mes études à Paris et j’ai travaillé dans le droit immobilier pendant des années. Puis, j’ai retrouvé le goût du vin de mon grand-père des années plus tard dans une cave à vin à Paris. Je crois que ce que j’avais goûté était La Cheville de Fer d’Olivier Lemasson, début des années 2000. Je me suis dit que j’allais me remettre à boire du vin. Quand on goûte du vin nature on a l’impression de boire un jus de fruit, un jus de raisin fermenté. C’est bon, le lendemain on est bien, on n'a pas de gueule de bois, donc on a tendance à en boire un peu trop, mais ce n’est pas grave.

Comment t'est venu l’idée de monter ta cave ?

Quand je suis venue à Paris, j’allais traîner mes guêtres chez Michel Moulherat à La Cave de l’Insolite rue de la Folie Méricourt, qui était un sacré passeur et qui expliquait beaucoup de choses. Également rue St-Maur au Nouveau Nez, puis chez Paco à La Cave d'Ivry… C’est comme ça que j’ai commencé à aller dans beaucoup de salons de vins nature indiqués par des cavistes, La Dive à Deauville, qui était sur la plage, par exemple. J’étais encore juriste, je prenais des notes. J’ai toujours fait ça, même très jeune,  je notais dans des cahiers ce que je goûtais et le menu, par exemple le menu des cinquante ans de mariage de mes grands-parents. Je n’ai jamais lâché le vin, j’ai toujours goûté du vin chez les vignerons, pris des notes. Je faisais ça par passion. Un jour mon patron a changé, et j’ai bien morflé : harcèlement moral, etc. Au bout d’un an et demi je me suis fait débarquer pour faute lourde. Un avocat m’a dit que je gagnerais au bout de dix ans en cassation. J’ai décidé de ne pas m’embarquer là dedans, et de monter ma cave. Après avoir passé du temps à me morfondre dans mon canapé, j’ai rencontré les bonnes personnes, et j’ai trouvé l’envie de me lancer. J’ai mis du temps à chercher un endroit, à étudier le terrain, interroger les gens dans les quartiers pour trouver ce qui me correspondait le plus. Quand je me suis installée rue de Bagnolet on m’a dit qu’il n’y avait pas de public, que j’étais folle, mais moi c’est ça que je trouvais intéressant justement. J’ai appelé des vignerons, tous ceux que je connaissais déjà, et dont j’avais goûté les vins sur les salons, et c’était comme si je leur achetais du vin depuis toujours. À mes premiers salons comme caviste, quand on dînait avec les vignerons je prenais mon crachoir et je continuais à prendre des notes. Ça amusait les copains cavistes de me voir si scolaire.  

Quelle cave tu voulais ?

Je voulais une cave qui ressemble à celle de ma grand-mère. Je voulais que ça soit un carré, que ce soit petit et populaire, et qu’il y ait tous les prix (enfin au début je n’avais rien au dessus de quarante euros). Ici ma clientèle sait que je démarre à sept euros et qu’il n’y a que du nature. Et je n’achète que les vins que j’aime.

C’est comment d’être une femme caviste ?

Depuis que j’ai ouvert il y a quatorze ans, il y a beaucoup plus de femmes dans les salons. Ceux qui disent que ce n’est pas un métier pour une femme, je leur montre la photo de ma grand-mère en 1945. Il y a beaucoup de femmes qui aiment venir chez moi car elles se sentent plus à l'aise que chez certains cavistes. Mais les choses ont bien changé aujourd'hui.

Qu’est ce qui a changé pour toi aujourd’hui ?

Je n’ai pas encore complètement confiance en moi. Je place les vignerons bien au dessus, car je ne sais pas faire de vin, ni tailler la vigne. Au début j’avais la trouille quand je voulais conseiller des hommes et qu’ils me répondaient qu’une femme n’allait pas les aider à choisir du vin, je pensais qu’ils en savaient plus que moi. Mais aujourd’hui ça me fait doucement rigoler, je comprends que c’est de la misogynie de base. D’ailleurs c’est toujours des femmes qui me disent qu’elles n’y connaissent rien, que c’est leur mari qui choisit d’habitude. Je leur dis qu'elles n'y connaissent pas rien et leur demande de me décrire ce qu'elles aiment.

Comment tu t’en sors avec la montée des prix des matières premières ?


Je n’ai pas de salarié, pas de charges. Je ne mets pas de chauffage, je mets un pull de plus, des grosses chaussettes, et voilà. Je n’ai pas la charge mentale d’un patron.


Comment tu fais pour aller dans les vignes en étant seule ?


Je suis beaucoup allée dans les vignes avant d’être caviste. Tout mon temps libre. J’ai rencontré beaucoup de gens. Ne serait-ce que dans ma région, je goûtais le vin des vignerons. Le but était de retrouver ce que j’avais aimé dans le vin de mon grand-père, qui élevait beaucoup en grande cuve ciment et parfois en barriques bourguignonnes. Au début quand j’ai monté la cave je faisais trois ou quatre déplacements par an, puis petit à petit, avec le bouche à oreilles, les vignerons ont commencé à venir me faire goûter ici. Sébastien Bobinet que j’aime beaucoup continue à venir plusieurs fois par an, parfois, pour me faire goûter les nouveautés, il est incroyable. Je fais les salons à Paris encore aussi. Mais je n’aime plus les salons où tu mets une demi-heure à accéder à chaque tonneau, et tu n’entends rien, donc je préfère goûter autrement.

Qu’est-ce qu’il faudrait changer dans ton milieu selon toi ?

La spéculation. Il y a des domaines jurassiens que je vends à trente euros et qu’on trouve à cent cinquante euros sur internet, c’est insupportable. Il ne faut pas qu’on devienne comme en Californie, où seuls les riches boivent du vin, dans des soucoupes. On est un pays producteur de vin, il faut que ça reste un moment plaisir pour tous les instants, toutes les bourses.

Tu ressens les effets du réchauffement climatique dans ton travail avec les vigneron.ne.s ?

Oui c’est impressionnant. Denis Lattard qui est à Autichamp dans la Drôme, par exemple, que j’aime beaucoup, et qui fait des prix très intéressants, très démocratiques, a eu un orage de grêle de la taille de mandarines sur ses vignes et son chai également, qui ont été ravagés, en juillet dernier. Ils ont cherché dans les archives du Moyen Âge, et c’est la première fois que la grêle tombait à cet endroit. À propos de réchauffement climatique ce sont des Gamay qui titrent à 14 degrés… Maintenant ici j’ai des beaujolais à 15 degrés, c’est invendable.

Te sens-tu bien à Paris ?

Oui je trouve qu’il y a plus de solidarité dans mon petit quartier qu'à la campagne où j’ai grandi, finalement. Là-bas les gens parlent plus les uns sur les autres, se jalousent. Je me plais à Paris.

Dernièrement, un souvenir gustatif marquant ?

Une soirée à la maison, avec une amie réalisatrice et une vigneronne. À l’apéro on a mangé des poissons fumés de la Rochelle et on a bu un chardonnay 2009, un O9 de chez Alexandre Jouveaux, que j’avais gardé précieusement et qui était magique.

Une odeur ?

Le mimosa ! Tous les mardis j’ai un bouquet de ma fleuriste adorée de la rue Vitruve, Brindille, qui fait des fleurs de France principalement (et même du XXe arrondissement de Paris) et qui m’apporte un bouquet de fleurs fraîches avec un vase. D’ailleurs si vous avez l’occasion de goûter le macaron au mimosa de chez Pierre Hermé… !

Un son ?

Tu dis ça à la sourde ! Le « mmh » du contentement quand on boit un bon vin.

Une image ?

Les Tuileries. Je ne fais rien à part bosser tellement j'aime mon travail. L'autre jour je suis allée au Musée d’Orsay voir l’expo sur le salon des impressionnistes de 1874, et en voyant le jardin des Tuileries avec le musée d’Orsay au fond, je me suis dit « c’est vrai que je vis à Paris quand même. »

Un toucher mémorable ?

Tous les chiens que je caresse tous les jours. Les clients savent que j’aime les chiens et ils me les laissent le temps d’une course.

Un restaurant qui t’a marqué ?

J’adore aller au Baratin. Il y a tout. Il y a quelque chose qui fait que t’es aussi bien que chez toi. Pinuche va te choisir le vin que t’as envie de boire, Raquel ça va toujours être juste, incroyablement bon, parfait.

Un.e chef.fe ?

Christophe, le chef de L’Amarante rue Biscornet, ses cuissons sont parfaites, les portions sont généreuses. Il a envie de donner.

Un commerce de quartier ?

Alexis 20, le traiteur libanais. C’est une institution, ils sont là depuis trente-sept, trente-huit ans, une affaire de famille. Des sandwichs libanais trop bons.

Un.e vigneron.ne qui a été important.e ?

Claude Courtois, Pierre Fenals, Eric Pfifferling, mais c’est difficile de n’en citer que quelques uns.

Une cave qui t’inspire ?

La cave de ma grand-mère, la première, celle qui m’a donnée envie. Puis celles de Nadine (Au Nouveau Nez), de Michel (La Cave de l’Insolite dont j’adorais le vieux poêle), de Thierry (L’Amitié Rit).

Une actualité à partager?

J’ai participé au podcast Intercep ! Sinon mon côté cougar : j’adore "choper" les jeunes vigneron.ne.s avec qui personne ne travaille encore ! Le Domaine des Agrions, en Ardèche, par exemple, qui travaille sans filet, c’est bon.

Ta bouteille pour le printemps ?

Orgasme culte (Organisme culturel). C’est chez moi aussi, un bourgogne côte chalonnaise. Benoît Delorme, qui a mon âge, et qui était dans le lycée concurrent du mien, a des vignes où ma tante vivait avant. C’est un Pinot noir. Un 2021, tout en fraîcheur. Une cuvée représentative du terroir et non pas du réchauffement climatique : un bourgogne comme je les aime et comme ils devraient être tous les ans.


Merci Agnès !

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