L'app du bien manger et du gaiement boire !

Fine Gueule

Christel Regis

Christel, la boulangère humaniste de Perséphone, s’est reconvertie à plus de quarante ans après un parcours comme architecte. Arrivée à vingt ans à Paris pour étudier l’architecture à la Villette, où elle a découvert la sociologie et l’écologie, elle a ensuite travaillé en agence en se questionnant sur pourquoi et comment construire, avec quels matériaux, avant de se spécialiser dans le logement social, sensible aux modèles alternatifs. Elle a toujours cherché à faire sens, a travaillé dans des foyers de femmes,  de travailleurs, ou encore autour de la sédentarisation des gens du voyage notamment à Montreuil. Après un CAP pâtisserie et un CAP boulangerie chez Ferrandi elle fait des stages et travaille chez Stephane Vandermeersch (ancien pâtissier dans l’équipe de Pierre Hermé chez Ladurée) qui a un grand savoir-faire et lui met le pied à l’étrier, Christel, très motivée, passe ensuite quelques mois chez Christophe Vasseur (Du Pain et des Idées) qui lui apprend beaucoup, et qui est intransigeant sur les produits qu’il veut les meilleurs. Elle monte sa boulangerie de quartier en 2018, animée par le désir d’apprendre, et de créer du lien social.

Bonjour Christel ! Qu’est ce que tu préfères dans ton métier ?

J’aime mes clients. Quand j’étais architecte, je me disais qu’en construisant des logements je pouvais améliorer la vie des gens, je m’intéressais à l’urbanité, à la capacité d’un espace à créer du lien social, par la ville, par la rue. Ce lien social, tu le crées beaucoup plus, de manière concrète et immédiate, en vendant du pain, je me suis rendu compte. Les gens se livrent, m’écrivent, me confient des clés, me disent que le pain les ramènent à des souvenirs. Il y a aussi beaucoup d’enfants, je ne soupçonnais pas le rapport qu’ils ont au pain. Ils en sont très attirés. Et j’aime le travail manuel, je ne m’ennuie jamais avec ces matières vivantes. Il faut s’adapter en fonction du temps, des farines. En fonction des saisons, les farines changent, et selon les récoltes le taux d’hydratation change. En bio, sans additif ni améliorants il y a plus de changements, cela rend le travail plus intéressant. Certaines années la panification est plus facile que d’autres. Cela change tout le temps bien que cela soit répétitif dans les gestes. C’est intéressant de trouver la régularité avec ce changement constant.

C’est un dur métier ?

Quand j’ai commencé, j’ai découvert que les conditions étaient dures (tu travailles la nuit, parfois en sous sol, dans la farine) cela m’a permis de voir que ça me plaisait vraiment, et que j’allais continuer. Il faut imaginer de nouveaux modèles. Mais c’est difficile d’imaginer ce que c’est ce métier. C’est énormément de temps de préparation, de travail. Je travaille en général six jours sur sept, soixante-dix heures environ. Les gens me prennent pour une emmerdeuse parce que je ferme le week-end mais on est en production. Pour faire les choses il faut du temps. Le dimanche par exemple j’ai les levains à préparer, le Hadès à pétrir, la brioche pour la semaine, le pain de mie à faire car la pâte doit être bien froide pour le façonnage…

Quelles farines tu utilises ?

J’utilise des farines locales et biologiques, pour la plupart semi-complètes et complètes, préparées sur meule de pierre, ce qui permet de dérouler le grain, sans l’écraser, et préserve les nutriments et les vitamines présents dans le germe, l’enveloppe et les sons et rendent la farine plus digeste. Un système ingénieux de moulins artisanaux a été mis au point dans les années 50 par les frères Astrié pour permettre aux petites structures d’être plus autonomes. J’utilise quand même de la T65 pour rafraîchir mon levain liquide de blé pour qu’il ne soit pas trop acide, car cela me permet d’avoir un meilleur équilibre entre les levures et les bactéries. J’essaye de contrôler l’acidité de mes pains mais il en faut un petit peu pour nettoyer le palais et faire saliver. Aujourd’hui les gens mangent moins de pain mais mieux. On s’y intéresse pour sa valeur nutritionnelle, d’où l’intérêt de faire des pains différents, aux qualités nutritionnelles différentes. Cela laisse de l’espace pour ceux qui veulent travailler différemment. J’ai aussi besoin de me stimuler, de stimuler mes équipes en créant de nouveaux pains.

Tu fais également des baguettes au levain…

Je fais des baguettes et j’en ferai toujours. Quand on fait une baguette comme je la fais, à la main, sans machine, sur vingt quatre heures de fermentation, cela n’est pas rentable.J’en fais environ une centaine (une boulangerie moyenne en fait environ six cent) mais je trouve que c’est important car cela n’est pas un produit élitiste et c’est une porte d’entrée pour d’autres pains. Je suis dans un quartier de logements sociaux, de familles, de classes moyennes, ce n’est pas le Paris touristique. Les gens qui m’achètent du pain sont ceux du quartier, ce qui me plaît beaucoup car je n’aime pas l’entre-soi.

Tu dirais quoi à quelqu’un qui veut se lancer ?

Je l’alerterais. Je le découragerais sur la réalité de ce que cela représente. On ne gagne pas sa vie comme cela. Il y a un problème d’échelle dans ma boulangerie, c’est trop petit, mais c’est surtout lié à ma façon de faire, et je ne conçois pas de faire différemment. J’ai trouvé un équilibre entre les différents facteurs mais je suis la variable d’ajustement. Je peux me le permettre grâce à ma compagne qui elle gagne bien sa vie. C’est important d’être rentable pour faire vivre ton équipe, mais l’argent ne peut pas être le seul moteur. Mon modèle est sans doute plus viable dans des zones moins urbaines ou à la campagne, là ou les loyers sont moins élevés. Dans le cadre d’un projet qui ferait sens dans un territoire, qui s’inscrirait dans un parcours pédagogique par exemple, en se liant se lier à la à la mairie, aux habitants, aux écoles.

Est ce que tu veux nous parler d’un.e produteur.ice ?

Oui de Valentine Franck, de la ferme de Montaquoy qui est dans l’Essonne dans le parc naturel du Gâtinais. Elle était costumière de cinéma et s’est reconvertie dans l’agriculture céréalière en travaillant des variétés anciennes. Je la trouve très courageuse. Elle met du sens dans ce qu’elle fait. Elle travaille un mélange qu’elle a été chercher en Angleterre. Ces blés sont durs à panifier, mais ils ont un super goût. Avec ses farines je fais un pain, le Demeter, disponible le vendredi. Dans un monde idéal je ne travaillerais qu’avec des variétés anciennes mais financièrement je ne peux pas me le permettre.

Quel est ton conseil pour réussir son pain chez soi ?

Le temps ! S’organiser. Ne pas être pressé. Le pain se fait sur vingt quatre heures. Prendre des bonnes matières premières, des farines bio, écrasées sur meule de pierre. On a besoin de comprendre comment le pain fonctionne visuellement, saisir le toucher de la pâte, l’hydratation, former son nez. Je conseillerai avant de faire son levain (il faut s’y prendre dix jours avant au moins pour le mettre au point) de commencer à panifier avec le levain d’un autre (les boulangers le donnent en général si vous venez avec un contenant) et une fois qu’on a compris comment ça marche, de se lancer dans la création d’un levain. La cuisson du pain est compliqué aussi, l’idéal est d’avoir une pierre dans le four, pour créer un choc thermique.

Aurais-tu une astuce zéro déchet à transmettre ?

Je me suis inspirée d’une recette canadienne pour recycler le marc de café (qu’on a fait sécher) dans un pain avec du miel, des noisettes et des amandes torréfiées. Ma recette est dans le livre d’Esterelle Payani « la cuisine des beaux restes » éditions Flammarion (et maintenant dans la rubrique recette de notre site), mais c’est une recette un peu compliquée. Sinon il y a le pudding, qui est très simple à faire à partir de pain et de brioches rassies. Tu peux ajouter des pépites de chocolat, des raisins, ou tout ce que tu as sous la main. Tu peux le manger frais l’été et chaud l’hiver, et cela se conserve plusieurs jours (retrouvez la recette dans la  rubrique dédiée).

Est-ce que tu veux nous parler d’un.e collègue dans l’alimentation ?

Oui, de Berangère Boucher qui est la cheffe du restaurant Nomikaï, situé au n°14 rue Crozatier pas loin de ma boulangerie. Elle était éditrice et a monté son restaurant. Elle s’occupe de la cuisine et de la salle toute seule. Elle s’intéresse beaucoup à la fermentation, fait des kimchis. J’aime beaucoup ce qu’elle fait, c’est très bon. Elle est aussi très exigeante sur la provenance des produits, les producteurs. Très engagée sur l’alimentation et le droit des femmes, également.  Avec mon pain quand il en reste elle fait un velouté vraiment très bon.

Il y a aussi mon amie Yoko devenue vigneronne avec l’aide de son compagnon Dominique, ensemble ils ont créé le Mas du Dragon de Pierres, ils font du vin nature dans le Languedoc Roussillon à Tautavel. Actuellement ils finissent la construction d’un chai complètement autonome de manière environnementale ; ils ont un puit, et l’électricité est produite uniquement par les panneaux solaires.

Qu’est-ce que tu fais des invendus ?

Je ne jette jamais le pain. J’en réutilise une partie, et le reste est pour mon voisin qui a des poules et me donne des oeufs en échange, une association pour des oiseaux blessés, et des associations type Restos du Coeur.

Vous pouvez retrouver le pain de Perséphone chez Table le restaurant de Bruno Verjus, chez Nomikai le restaurant de Bérangère Boucher et chez Pur vin cave à vin nature.

Merci Christel !

Découvrir aussi...