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Allison a longtemps travaillé dans la photographie en tant que productrice et agent, mais elle s'est toujours passionnée pour la cuisine et les produits frais. Elle a monté l’épicerie en ligne Kin épicerie qui propose des produits asiatiques faits le plus localement possible, avec l’impact environnemental le plus faible.
Bonjour Allison, comment as-tu pris conscience de l'importance des produits ?
Mon père tenait des restaurants là où j’ai grandi, à Antony. Le dimanche, c’était lui qui cuisinait à la maison. Mes grands-parents paternels étaient primeurs sur les marchés d’Antony, et j’allais souvent les voir. Pendant le lycée, je travaillais avec eux sur le marché. On mangeait donc toujours des produits frais. Ma mère, d’origine vietnamienne, cuisine aussi très bien, c’était elle qui préparait les repas en semaine. Faire le marché et cuisiner ont toujours fait partie de mon quotidien. Nous ne mangions jamais de produits transformés et nous achetions toujours auprès des petits commerçants.
Quel est ton lien avec la cuisine vietnamienne ?
J’ai découvert la culture vietnamienne principalement grâce à ma grand-mère. Elle m’a transmis sa cuisine en me montrant comment faire, en me disant qu’il fallait goûter pour ajuster les quantités. Il n’y a pas vraiment de tradition de livres de cuisine au Vietnam, tout se fait par transmission orale et en pratiquant. Si je n'avais pas rejoint l’Union des jeunes vietnamiens de France quand j’étais plus jeune, je n’aurais pas pris conscience des liens profonds entre cette cuisine et son histoire culturelle. Cette association, qui existe depuis 100 ans, organise de nombreux événements où la cuisine joue un rôle central. J’y ai beaucoup cuisiné et j’ai pu ainsi me reconnecter à ma culture vietnamienne. Aujourd'hui, j'ai beaucoup d'amis dans cette association, et nous avons créé le festival "Ici Vietnam", qui met en avant la culture des diasporas vietnamiennes. Ce festival propose des projections, des expositions, et des concerts. On organise aussi un food market annuel en juin. J'y ai participé avec Kin Épicerie. Les Vietnamiens adorent manger, alors on se retrouve souvent autour d’un repas. Ce que je fais dans cette association, c’est ma manière à moi de militer et d’avoir un impact.
D’où est parti Kin épicerie ?
Je faisais très attention à la qualité des produits que j’achetais au quotidien pour cuisiner, mais, lorsque je préparais des plats vietnamiens, je me fournissais dans des supermarchés asiatiques traditionnels, sans trop réfléchir. Pendant le confinement j’ai fait plein de recettes de Cooking With Morgan, sur instagram, que j’adore, mais j’ai réalisé que mes produits asiatiques généraient énormément de déchets plastiques et commençaient à affecter ma peau. Je me suis rendu compte que ce n’était pas très sain. J’ai alors commencé à chercher des produits de meilleure qualité. Je me suis dit qu’il y avait du riz cultivé en Camargue, qu’il existait du soja bio (des sauces de soja ) et qu’il fallait juste faire l’effort de mieux chercher, de trouver des producteurs bio en direct. Nous avons un terroir incroyable en France, et je savais que je pourrais trouver beaucoup de choses intéressantes. Au-delà du riz, il y a aussi les algues en Bretagne (mon père est breton), le sarrasin (pour les sobas) … Les Bretons sont d’ailleurs très autonomes, ils produisent tout eux-mêmes, même du riz, et du thé ! Une amie, Zazie Tavitian, critique culinaire, m’a parlé de Takayoshi, un producteur de miso qu’elle connaissait. En poursuivant mes recherches, j’ai découvert Thierry Bouvet, un producteur de nuoc-mâm, et c’est à partir de là que tout a vraiment commencé. J’ai commencé à rencontrer les producteurs chez eux, à les interviewer et à les photographier. Cela a pris environ deux ans de travail de sourcing. Les producteurs me partageaient souvent leurs réseaux, et de fil en aiguille, j’ai rencontré des gens incroyables. Cependant, je ne travaille pas avec tous, car certains vendent uniquement localement, ce que je respecte totalement. Finalement, c’est ainsi que Kin Épicerie est née.
Comment s’est passée cette période d’exploration ?
J’ai rencontré beaucoup de professionnels et de particuliers, des chefs, et surtout beaucoup de femmes, ce qui était fantastique. J’ai appris à connaître leurs problèmes concernant l’approvisionnement et les coûts.
D’où vient le nom Kin ?
En vieil anglais, "Kin" signifie "faire famille". Par ailleurs, les Kinh sont l’ethnie majoritaire au Vietnam. Au Laos, "Kin" veut dire "manger", et en japonais, le caractère signifie "or"...
Quel est ton objectif principal avec Kin ?
C’est de collaborer étroitement avec les producteurs, notamment pour encourager les chefs et les particuliers à faire appel à eux. Quand ces producteurs partagent avec moi leur savoir-faire et leur confiance, j’ai envie de transmettre cela à mon tour. Aujourd’hui, certains d’entre eux ont développé de nouveaux produits adaptés au marché local, et il y a encore tant à faire. Par exemple, le liseron d’eau, le gingembre , ou le shiso poussent très bien en France, dans des terrains sauvages comme ceux de la vallée de la Loire, avec un sol fertile et des vents propices. Une amie à moi, qui a repris une ferme, teste d’ailleurs certains produits pour moi. Alexandra, à Menton, m’a également proposé de tester des produits dès notre première rencontre. Les gens curieux et qui ont le temps et les moyens aiment souvent essayer de nouvelles cultures. Toutefois, beaucoup de producteurs ne peuvent pas produire en grande quantité, donc il est important que d’autres personnes se lancent dans le développement de ces produits. Mon objectif, en tant que boutique, est de rester, autant que possible, accessible.
Que trouve-t-on aujourd’hui chez Kin Épicerie ?
On trouve du riz, des algues, des sauces, du tamari (comme celui de Takayoshi, qui récupère l’élixir du miso), des infusions, des herbes, de la farine de riz et de sarrasin (comme celle d’Olivier, qui avait Atelier Soba dans le XIe), des shiitakés, et quelques produits exotiques cultivés en Europe, au plus près.
Y a-t-il un produit phare que tu aimerais proposer mais ne trouve pas ?
J’aimerais beaucoup proposer des galettes de riz, qui doivent sécher à l’extérieur ou dans de grands séchoirs. Ce n’est pas compliqué à produire en France, mais on n’en trouve pas. Le lait de coco manque aussi énormément, mais c’est une autre histoire. Lorsqu’on ne trouve pas des produits identiques, il faut savoir s’adapter et trouver des alternatives. Par exemple, la collatura, une sauce d’anchois en saumure qu’on trouve dans la cuisine italienne, peut remplacer le nuoc-mâm. La feuille de figuier peut aussi imiter les notes de noix de coco. Ces alternatives ne correspondent pas toujours aux palais vietnamiens, mais il faut savoir s’adapter à de nouvelles saveurs, plus locales. Je me suis rapprochée de Bénédicte Mira, qui travaille avec un réseau de jardiniers et de producteurs. Elle crée des mélanges d’épices qui évoquent des saveurs venues d’ailleurs. Par exemple, elle utilise l’hélichryse, qui a un goût de curry. Il y a aussi de nombreux produits asiatiques transformés qu’on peut faire soi-même. La sauce Maggi, par exemple, très utilisée dans la cuisine asiatique, est en fait fabriquée à partir de livèche (on fait un caramel, on ajoute de l’eau, puis on fait cuire la livèche dans ce mélange). Les fameuses chips de crevettes sont un mélange de farine de tapioca, de crevettes et d’ail. On cuit le tout en forme de boudin à la vapeur, puis on le tranche finement, avant de passer les tranches au four ou de les frire. Aujourd’hui, quand je cuisine, j’utilise des produits très locaux et je réfléchis à comment leur donner une touche asiatique avec ce qui est disponible : du gingembre de Côte d’Armor, du katsuobushi (bonite séchée) de Bretagne, du shiso…
Qu’est-ce que tu penses de la multitude d’offres autour de la cuisine vietnamienne aujourd’hui ?
La cuisine vietnamienne a souvent été perçue de manière un peu floue, comme si elle était entourée de mythes sur la manière dont elle est préparée. Il faut éduquer les gens. Par exemple, un bouillon pour un pho demande autant de temps de cuisson que celui d’un ramen. Et non, les nems ne sont pas chinois ! Il y a de plus en plus de restaurants qui mettent à l’honneur cette cuisine, ce qui est fantastique. Cependant, il est important que cela ne devienne pas un simple business, où l’on se contente de s’approvisionner toujours chez les mêmes grossistes. Il faut faire travailler les producteurs locaux dans ces cas-là !
Qu’est-ce que tu as appris en faisant Kin ?
Les producteurs que j’ai rencontrés ont tous commencé avec une vision claire, et ils ont décidé de la réaliser coûte que coûte. Et finalement, cela a fonctionné. Ça m’a appris qu’une initiative personnelle peut devenir collective et véritablement changer les choses.
Quelle est la prochaine étape ?
Un jour, j’aimerais avoir un lieu physique, bien sûr. Peut-être un comptoir avec des chefs.
Peux-tu nous parler d’un de tes produits ?
Les shiitakés, par exemple. Le producteur, Marco Demacon, est installé dans les Vosges. Il récupère des bûches de chêne des forêts vosgiennes et fait pousser les shiitakés dessus. C’est magnifique. Ou bien le nuoc-mâm, fabriqué à Tours par Thierry Bouvet , qui est à la base chercheur. Il avait pour objet d’étude les pêcheurs sur la Loire et a réfléchi à comment valoriser les pertes de la pêche. C’est ainsi qu’il en est venu à créer du garum.
Je recommande aussi le tofu de Tout Tofu, qui est délicieux, fait à partir de soja bio, français. Le producteur tient la recette de sa famille chinoise.
Peux-tu nous parler d’un.e producteur.rice ?
Jinno Raitetsu, dans le sud de la France, près d’Arles. Il m’a ouvert les portes de son champ où il cultive des légumes japonais. Il m’a prouvé qu’il est tout à fait possible de faire pousser une grande variété de plantes asiatiques en France, et a accepté de me montrer comment il travaille. C’est une histoire de confiance, tout comme avec Takayoshi, qui fait du miso. Taka cuisine et vend ses produits au Marché de Beaujardin, à Tours, tous les samedis. J’ai cuisiné avec lui, sa femme et ses employés des okonomiyaki. Il m’a ouvert les portes de son atelier et m’a montré tout son processus de fabrication.
Dernièrement, un souvenir gustatif marquant ?
Les sushis que j'ai mangés pour la première fois au Japon. Sans sauce, rien d'autre. Encore une fois, c’est le produit avant tout.
Une odeur ?
L’ail et le gingembre dans la poêle. Ça te fait saliver instantanément.
Un toucher ?
De la farine de riz ! J’ai préparé une sorte de gnocchi, avec de la patate douce, de l’ail et de la farine de riz. La texture qu’ils laissent sur les mains est incroyable.
Une image ?
Le Japon. J’ai pleuré chaque jour tant la beauté m’émouvait.
Un restaurant asiatique qui source bien ?
TRAM 130. Priscilla y travaille des produits magnifiques pour faire découvrir les nombreuses saveurs et techniques d’Asie du Sud-Est, avec une approche bistronomique, gourmande et conviviale, "comme à la maison". En plus, la sélection de vins est superbe.
À Blois, le restaurant Asa franco-japonais s’approvisionne avec des produits incroyables.
Un lieu qui t’inspire ?
HOBA (dans le XVIIe arrondissement de Paris) consacré à l’alimentation durable et au bien être !
Un commerce de quartier ?
La Goutte des Gâtines. Ils ont une excellente sélection de vins orange, une large gamme de prix, et des produits délicieux. Ils donnent toujours des conseils judicieux, en fonction du budget et des plats que tu prépares ou que tu vas déguster.
Tu veux bien partager une recette avec nous ?
Ma salade de chou blanc au poulet (GOI GA)
(à retrouver dans noter rubrique recettes)
Merci Allison !
Site de l'épicerie : https://kin-epicerie.com/
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